CHINE (L’Empire du Milieu) - Arts

CHINE (L’Empire du Milieu) - Arts
CHINE (L’Empire du Milieu) - Arts

Les tendances esthétiques chinoises ordonnent les créations artistiques selon une hiérarchie profondément différente de celle de l’Occident: elles tiennent compte de leur lien plus ou moins direct avec l’esprit. L’écriture – et donc la calligraphie, véhicule par excellence de la pensée – prend ainsi la première place qu’elle partagera avec la peinture. Architecture et sculpture sont en revanche considérées comme œuvres d’artisans, de professionnels, au même titre que la céramique, le bronze, le laque ou l’orfèvrerie. Cette distinction entre des arts gratuits, animés par la seule quête spirituelle, apanage des « lettrés », et des arts de commande liés à la religion, aux exigences du monde officiel ou de la vie quotidienne, demeure essentielle. Cette primauté de l’esprit n’exclut cependant pas l’amour des matières précieuses en ce pays qui révéla au monde la soie, le laque, la porcelaine, et qui porta à sa plus haute perfection la technique du bronze. Le connaisseur chinois, sensible au rythme de la ligne, le fut aussi au raffinement visuel et tactile qui seul peut donner à la jouissance esthétique sa véritable dimension.

Si l’on excepte certaines manifestations religieuses de l’art chinois (les bronzes archaïques, l’art funéraire et la sculpture bouddhique), il semble que la création artistique soit ici marquée par la recherche de la pérennité à travers l’éphémère et le fluctuant. Les matériaux d’abord en témoignent, périssables par essence: papier, bois, laque, soie, porcelaine. Les thèmes en sont aussi l’illustration, goût du transitoire, importance accordée à la fluidité d’une sensation, à la fragilité d’un moment, thèmes à travers lesquels la poésie comme la peinture à l’encre atteignent l’intemporel. Sur le plan stylistique, enfin, l’animation constante de la ligne, la prédominance du mouvement, de l’aigu, de l’oblique, de l’onde apparaissent comme le dénominateur commun de créations très différentes.

La première impression que laisse l’art chinois à celui qui tente d’en approfondir l’approche est peut-être celle d’une immense diversité temporelle et spatiale. Marqué, dès l’abord, par une continuité de trois millénaires, cet art s’est épanoui sur un continent dont les variations régionales se révèlent très marquées. La continuité temporelle n’a d’ailleurs jamais impliqué, en Chine, l’uniformité; chaque siècle apporta ses innovations, ses dominantes, son potentiel d’évolution. Il ne faut pas oublier enfin que notre connaissance de cet art, liée aux découvertes archéologiques et aux recherches historiques, est encore dans l’adolescence, et que chaque jour apparaissent de nouvelles données éclairant des manifestations artistiques jusqu’alors ignorées.

1. Évolution générale

La critique picturale apparaît en Chine au IVe ou au Ve siècle de notre ère, mais les œuvres transmises de génération en génération, ainsi que les monuments, ne sont que rarement antérieures au Xe siècle. Aussi, l’art qui s’est constitué avant la chute des Tang doit-il beaucoup de son histoire aux innombrables découvertes faites dans le sol chinois à partir des années vingt. Étant assujettie à l’archéologie, la connaissance que nous avons de cet art s’appuie sur des œuvres dont la beauté n’était, pour leurs contemporains, qu’un critère secondaire en regard de leur destination, de leur fonction rituelle ou de leur caractère symbolique. Dans leur majorité, les pièces qui jalonnent l’évolution de l’art chinois sont en effet associées à des pratiques funéraires. Elles reflètent souvent le goût des classes favorisées de la société à des époques et en des lieux où ces classes jouissaient d’une relative quiétude. Enfin, leur appréciation esthétique ne saurait faire oublier qu’elles sont d’abord des documents sur un passé que seuls des textes anciens permettaient naguère d’approcher.

De la légende à l’histoire: les Xia et les Shang (env. fin du IIIe millénaire-XIe s. av. J.-C.

La mise au jour de vestiges attribués à la légendaire dynastie des Xia apporte une révélation comparable à celle qu’avaient fournie, à la fin des Qing, la reconnaissance et le déchiffrement des os divinatoires des Shang, puis, à partir de 1928, la fouille du site d’Anyang. Aujourd’hui, tout donne à penser que les Xia – une dynastie? un État? une population? – ont bien précédé les Shang; contrairement à ces derniers, ils semblent ne pas avoir laissé d’écrits rendant possible l’identification de leur culture parmi l’ensemble des vestiges du début du deuxième millénaire. Si des légendes se rapportent à eux dans quelques régions de la Chine centrale, c’est près de Luoyang qu’une culture pré-Shang ne relevant plus du Néolithique offre une certaine consistance. En effet, deux établissements de cette région annoncent la formation de la cité: les ruines d’une enceinte en terre damée découverte à Wangchenggang et les fondations de deux bâtiments, palais ou temples, à Erlitou (vers 2200-1600 av. J.-C.). Originaires de Erlitou, les premiers bronzes sont des couteaux et des vases aux parois minces, imitant souvent des terres cuites. Cette soumission à un modèle révèle bien la naissance d’un art dont la gestation n’a cependant pas encore été reconstituée. Des tombes du début des Shang (Erlitou, périodes IV et V) ont livré de belles armes rituelles en jade, des fragments de laques rouge de cinabre et deux plaques en bronze incrusté de turquoise dont le décor préfigure le motif énigmatique du taotie , masque animalier fantastique aux yeux globuleux, dépourvu de mâchoire inférieure.

Le site de Zhengzhou s’inscrit entre la phase Erlitou (périodes I à III ou IV) et la phase Yin (début XIVe-XIe s. av. J.-C.) qui doit son nom à la dernière capitale des Shang. Protégée par des fortifications en terre damée de 9 à 10 mètres de hauteur et de près de 7 kilomètres de longueur, cette ville de plan presque carré comprenait plusieurs quartiers aux fonctions distinctes. Les vases en bronze que l’on a retrouvés enfouis dans les fondations ou déposés dans des tombes occupent alors une place importante dans le rituel. Leurs formes se diversifient mais acquièrent surtout un équilibre des proportions qui manquait aux premières pièces. Le décor, d’abord limité en surface et relativement abstrait, couvre bientôt tout l’objet en s’enrichissant de thèmes animaliers. L’apparition de formes architecturées est imputable à la technique de la fonte en sections de moule qui conduit à disposer le décor en registres horizontaux, à accentuer les profils anguleux et à masquer les raccords par des arêtes.

On est mieux documenté sur la phase Yin grâce aux milliers d’inscriptions oraculaires déchiffrées depuis le début du XXe siècle et portant sur les campagnes militaires, les sacrifices mais aussi sur la chasse ou l’agriculture. Ces informations donnent tout leur sens aux vestiges exhumés près d’Anyang. Le site, traversé par une rivière, comprend au nord la nécropole royale, et au sud les fondations de plusieurs édifices, des palais sans doute, des vestiges d’habitations et d’ateliers, et de petites tombes. Découverte en 1976 dans la zone sud, la tombe inviolée d’un personnage très important, peut-être Fu Hao, l’une des épouses du roi Wu Ding (fin du XIVe ou fin du XIIIe s. av. J.-C.), renfermait, malgré des dimensions réduites, quelque 1 600 pièces de mobilier. Qu’il s’agisse de minuscules amulettes en jade ou de grands vases en bronze, une même inspiration puisant ses sources dans un bestiaire où se côtoient animaux réalistes et créatures fabuleuses nourrit presque toutes ces œuvres. Dans l’art des Shang, le taotie occupe une place centrale tandis que l’homme n’est que rarement évoqué. Ces dispositions ne répondent pas à des critères purement esthétiques, et le décor des bronzes, aussi complexe dans le détail des motifs que dans les associations qu’il met en jeu, attend toujours une interprétation d’ensemble capable d’expliciter ses liens avec la religion.

Dès cette époque sont produites des pièces promises à une longue histoire: des cloches et des miroirs en bronze, des chars. Aux découvertes d’Anyang s’ajoutent de très nombreux vestiges similaires, dispersés entre le Liaoning et le fleuve Bleu, qui rendent compte du large rayonnement, direct ou indirect, de la civilisation des Shang. Si l’étendue de leur territoire demeure conjecturale, il est probable que les membres de la noblesse disposaient d’un pouvoir sur des terres assez éloignées de la capitale. Ainsi, la cité-palais exhumée à Panlongcheng au Hubei en 1974 présente de grandes affinités avec le site contemporain de Zhengzhou, malgré la distance qui l’en sépare. Beaucoup de sites de la phase Yin, comme Taixicun au Hebei, portent également la marque de ce rayonnement, alors que des régions plus lointaines comme le Hunan, où une métallurgie originale a été révélée, témoignent d’échanges répétés avec la métropole et de transmissions de techniques.

Formation des principautés. Diversité des cultures: les Zhou (env. XIe s. av. J.-C.-221 av. J.-C.)

Vers le milieu du XIe siècle, les Zhou, qui étaient établis au Shaanxi, se disent mandatés par le Ciel; ils renversent la royauté et fondent leur capitale près de l’actuelle Xi’an. Dès le début de la dynastie, l’art se ressent de ces bouleversements car les Zhou possédaient une tradition du bronze et du jade qui, tout en étant tributaire de celle des Shang, s’en démarquait sensiblement. Ces changements se traduisent par la présence sur les vases de longues inscriptions attestant qu’ils ne sont plus fondus pour les seuls besoins de la religion mais pour commémorer des événements. Formes et décors subissent le contrecoup de cette évolution qui donne plus de liberté aux bronziers. La figure du taotie en perdant de son intégrité se fond au milieu de motifs géométriques déjà plus nombreux, d’oiseaux à longue crête, de dragons et de combinaisons d’animaux souvent arbitraires dans lesquelles les artisans excellent. Les motifs dont la cohérence est ainsi mise en péril vont tendre progressivement vers l’abstraction ou ne retenir de leur configuration initiale que le mouvement dont ils étaient animés. Quant aux formes, d’audacieux ornements en haut relief viennent en tempérer le caractère massif. Dans la Chine du Centre et du Nord, région mieux contrôlée par les Zhou, on a retrouvé quantité de pièces datées des trois premiers siècles de la dynastie, surtout des bronzes et des jades, parfois des vases en bois laqué incrusté de coquillages. Dans le Sud, une tradition de grès à couverte se constitue vers le Xe siècle. Fortes d’une telle avance technique, les régions du Jiangsu et du Zhejiang donneront naissance au début de notre ère aux premiers céladons.

Le sac de la capitale Zhou en 771 par des nomades venus des Ordos devait considérablement affaiblir le pouvoir royal contraint de s’établir à Luoyang. Les rivalités entre les principautés issues des fiefs créés par les Zhou se traduisent par des guerres incessantes et par l’affirmation d’entités culturelles régionales distinctes. Mais, en même temps, les relations qui se nouent entre tous les pays favorisent l’échange des idées et des biens. Malgré les incertitudes du temps, les principautés – depuis les plus grandes comme Chu ou Qin jusqu’aux plus petites, réhabilitées par de prestigieuses découvertes, comme Zeng ou Zhongshan – concourent au développement d’un art dominé par de vifs contrastes de couleurs ou de matières et un sens inné du rythme. Le mobilier des tombes princières se partage désormais entre les insignes du pouvoir que sont les vases rituels ou les armes et d’autres pièces de caractère profane destinées à assurer la survie du défunt dans un au-delà construit sur le modèle de la vie d’ici-bas. Conventionnels par nature, les premiers attestent un réel déclin de la qualité dès le IVe siècle et se voient supplantés par les secondes où se concentre tout le génie de l’époque. Les bronzes entrent dans une période très féconde grâce aux multiples effets tirés de l’entrelacs. Cet ornement apparu vers le IXe siècle pourrait émaner du décor des laques au rendu plus fluide. Aussi différente que soit leur expression, les arts du bronze et du laque se font alors écho. De plus, ils bénéficient, au même titre que le jade ou la soie, de progrès techniques décisifs pour leur avenir. L’ampleur des progrès de la métallurgie a pu être mesurée grâce à la découverte des vestiges d’une mine de cuivre à Tonglüshan dans le Hubei et d’un important atelier du bronze à Houma dans le Shanxi. Beaucoup d’interrogations subsistent cependant sur cet art inventif dont les produits ont largement circulé, mais dont certaines créations originales n’ont, semble-t-il, pas fait d’émules, comme ces bronzes de Leigudun (fin du Ve s.) dont le décor réticulé pourrait avoir été fondu à la cire perdue. Témoins de contacts plus lointains, les agrafes de ceinture et quelques thèmes animaliers pénètrent en Chine vers le VIe siècle. Les plus anciennes scènes figurées que nous connaissons, datées des VIe-Ve siècles, doivent leur survie au support utilisé, le laque peint et le bronze incrusté ou incisé. Elles illustrent surtout la vie des princes, alors que les deux premières peintures sur soie (IVe-IIIe s.), qui proviennent de Changsha, ont pour thème l’ascension du défunt vers l’immortalité.

Naissance de l’art impérial: les dynasties Qin (221-207 av. J.-C.) et Han (206 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.)

Après s’être épuisées dans de vaines luttes, les principautés ne purent résister aux assauts du royaume de Qin, mieux organisé, qui les réunit en 221 et proclame l’empire. Le nouvel ordre social imposé s’accompagne de prodigieux travaux (Grande Muraille, palais, etc.). Mais les activités artistiques les plus sensibles du règne de Qin Shi huangdi restent attachées à sa sépulture: le tumulus de 350 mètres de côté qui signale son emplacement, à l’est de Xi’an, a livré en 1981 sur son flanc occidental deux chars de bronze en modèle réduit. La découverte, à l’extérieur du tumulus en 1974, de plus de 6 000 guerriers a révélé que le programme du mausolée était autrement plus ambitieux. Les statues composant cette armée, dont la présence avait une vertu magique, sont idéalisées par la taille (hauteur entre 1,75 et 1,96 m) mais le rendu de la posture, du visage qui est individualisé, du vêtement, est réaliste. Ce type de sculpture qui n’avait jamais atteint à cette vérité procède des mannequins en bois placés dans les tombes dès le VIe siècle et peut-être antérieurement, notamment à Chu. Il s’agit là des premières manifestations d’une statuaire vraiment autonome, une fonction utilitaire ayant été souvent assignée à la sculpture monumentale par le passé. Ainsi un art impérial, bientôt fertile en créations de toutes sortes, voit-il le jour. Bien qu’il tire ici son inspiration de la guerre, exaltée jusqu’à la démesure, il sait garder des accents profondément humains.

Les troubles qui suivirent la mort de l’empereur en 210 ne s’apaisèrent que quelques années après la fondation de la dynastie Han, qui restaura la féodalité tout en s’appuyant sur les structures héritées des Qin. Jusqu’au règne de Wudi (140-87 av. J.-C.), les créations suivent les formules en vigueur à la fin des Zhou. Ainsi, dans l’ancien pays de Chu, où une tradition artistique à la fois puissante et originale s’était élaborée, le laque supplante-t-il le bronze. À la limite de l’abstraction, ses motifs font preuve d’une constante invention et, quand ils ne répondent pas à l’ornementation des soieries brodées ou façonnées et des céramiques, c’est pour rivaliser avec la peinture sur soie dont plusieurs chefs-d’œuvre ont été retrouvés dans deux des trois tombes de Mawangdui. Dans la bannière en T de la tombe no 1, la parfaite maîtrise du trait et l’équilibre savant de la composition qui représente l’ascension vers l’immortalité prouvent que cette peinture s’inscrit dans une tradition solidement établie. La politique expansionniste des Han vers le sud, dont l’empreinte est visible jusqu’à Canton (sur les pièces provenant de la tombe du deuxième roi de Nanyue, fin du IIe siècle av. J.-C.), et l’ouverture de la route de la Soie (Ier s. av. J.-C.?) ont pour conséquence l’apparition de thèmes exotiques dans l’iconographie. Parallèlement, avec la prospérité croissante de l’empire, un art de cour se reforme, plus serein que n’était celui de Qin. Plusieurs sépultures de membres de la famille impériale, comme celles de Mancheng au Hebei, ont livré des objets utilisés du vivant de leur propriétaire – lampes, brûle-parfums, etc. –, dont les qualités plastiques alliées à une réelle ingéniosité sont servies par les matières les plus précieuses. De la même époque datent les premières sculptures en pierre connues: elles bordaient l’allée conduisant au tumulus d’un général mort en 117 avant J.-C.: leurs formes à peine dégagées du granit opposent à tous les raffinements de la cour la force d’une expression sans fard.

Une mutation radicale intervient alors dans la conception des tombes qui depuis plus d’un millénaire consistaient en une fosse verticale abritant plusieurs cercueils emboîtés. Les plus riches s’élargissent et se subdivisent pour traduire dans leur plan l’agencement symbolique d’un palais. Au bois sont progressivement substituées la brique et la pierre. Leur usage occasionne un renouvellement des méthodes de construction sous la forme d’emprunts à l’architecture civile, mais aussi avec la mise au point de la voûte dont l’emploi restera cependant confiné aux tombes. Les surfaces ainsi ménagées s’offrent à une décoration peinte dont l’iconographie allie des thèmes mythologiques ou propitiatoires à des références historiques et à des évocations de la vie terrestre, plaisirs que le défunt souhaite retrouver dans l’au-delà. Les décors de Helingeer (milieu du IIe s.) ou ceux de Jiayuguan, un peu plus tardifs, prodiguent quantité d’informations sur la vie matérielle de leur époque mais s’élèvent rarement au-dessus de l’anecdote. En revanche, certaines briques estampées et certaines pierres gravées aux Ier et IIe siècles sont de véritables chefs-d’œuvre en dépit – ou peut-être à cause – des contraintes imposées par la matière. N’ayant que la ressource de découper des silhouettes, tout au plus agrémentées de quelques traits et d’un peu de volume, les artistes ont découvert, dans des styles très différents suivant les régions et les moments, la quintessence du mouvement et l’expression la plus synthétique des formes. Les meilleures réussites sont peut-être les scènes de chasse, les divertissements avec danseurs et musiciens et les cavalcades de voitures. Si des essais pour figurer l’espace ont été tentés dans bon nombre de ces scènes, le paysage en est exclu, sauf dans les dalles estampées du Sichuan, aux IIe et IIIe siècles. La sensibilité à la nature se révèle beaucoup plus dans les mille et une évocations de la vie à la campagne qu’ont transmis les modèles en terre cuite, les mingqi , de qualité souvent médiocre, mais d’une indéniable sincérité. À la fin de la dynastie, les manufactures officielles déclinent et sont relayées par des artisanats spécialisés suivant les régions: miroirs en bronze dans le bassin du fleuve Bleu, premiers céladons de Yue, etc.

Traditions du Nord, traditions du Sud: les Six Dynasties (265-581)

Le repli des régions sur elles-mêmes, perceptible à la fin du IIe siècle, anticipe le morcellement de la Chine. Par-delà les divisions politiques, ce sont deux cultures qui s’opposent et s’influencent tour à tour: celle de la Chine du Nord et celle du bassin du fleuve Bleu. Dans le domaine de la céramique, les expériences dont le Sud est un peu partout le creuset conduisent à l’invention des fours-dragons et à la création de grès contenant du kaolin mais n’ayant ni la transparence ni la finesse de la porcelaine. Nul doute que ces techniques ont favorisé le renouveau complet qui s’empare de la forme et du décor des pièces.

En ces temps troublés, les aristocrates lettrés du Sud vont, à l’instar des « Sept Sages de la forêt de bambous », trouver refuge dans la nature et composer les premières peintures de paysage. C’est alors que se codifient les grands styles de la calligraphie, un art déjà fort apprécié sous les Han. Si la postérité a retenu les noms du
peintre Gu Kaizhi (vers 344-vers 406) ou du calligraphe Wang Xizhi (vers 307-365) et reçu quelques reflets de leurs œuvres, elle le doit au travail de copie, de commentaire ou de citation auquel les artistes chinois se sont très tôt pliés. Parallèlement à ces œuvres où pour la première fois l’émotion de l’artiste supplante le savoir-faire de l’artisan, une réflexion s’engage sur le processus de la création et sur les critères esthétiques intervenant dans une définition du goût. Elle aboutit, notamment, au début du VIe siècle, à l’énoncé des Six Principes sur la peinture par Xie He.

Si l’on excepte les sculptures rupestres de Kongwangshan (près de Lianyungang, Jiangsu) illustrant l’interpénétration du bouddhisme naissant et du taoïsme vers le IIIe siècle, l’art religieux n’a laissé que de discrets vestiges dans les pays méridionaux, puisque tous les temples ont disparu. En revanche, dans le Nord, le soutien des dynasties barbares à la nouvelle religion a permis la création de grands sanctuaires taillés dans des falaises. Cette tradition héritée de l’Inde s’est transmise par le relais de plusieurs sites de la route de la Soie, dont celui de Dunhuang. Les grottes de Yungang et, après 494, celles de Longmen, creusées sous les Wei du Nord (386-534), naissent d’une intense dévotion qui s’exprime dans le sourire délicatement esquissé et confiant des premières configurations du Buddha. Une égale sérénité imprègne les statuettes déposées dans les tombes en de longues processions de musiciennes et de servantes à la grâce nonchalante, de gardes à l’allure débonnaire et de toutes sortes de personnages savoureux.

L’empire reconstitué: les dynasties Sui (581-618) et Tang (618-907)

Au cours du VIe siècle, les relations entre le Nord et le Sud s’amplifient constamment sous la forme d’échanges économiques qui favorisent le mouvement des hommes et la diffusion des idées. Le mérite de la réunification revient à la dynastie Sui qui, tout éphémère qu’elle ait été, n’en a pas moins exercé une influence décisive sur les arts. Une politique très audacieuse de grands travaux se concrétise en particulier dans l’édification d’une capitale grandiose, à l’urbanisme étonnamment fonctionnel, Chang’an. De l’architecture des Sui, il ne subsiste rien; cependant, nous pouvons considérer que le sarcophage d’une fillette enterrée en 608 près de Xi’an offre la parfaite réplique d’un élégant pavillon dont la toiture couronnée par un puissant faîtage s’incurve avec douceur. La statuaire bouddhique, finement modelée dans l’argile à Dunhuang et à Maijishan, ou taillée dans la pierre des grands sanctuaires rupestres de la Chine centrale, utilise enfin toutes les possibilités de la ronde-bosse. Cette conquête progressive de l’espace à laquelle les sculpteurs Sui aspirent transparaît encore dans le domaine profane et funéraire. Les dragons ornant en haut relief la balustrade du pont Anji de Zhaoxian (Hebei, début du VIIe s.) semblent lutter pour se dégager de la pierre avec laquelle ils font corps. Le mouvement des masses souligné par un trait nerveux annonce les meilleures réussites de la statuaire des Tang qui s’est jouée de toutes les matières: laque sec, terre cuite polychrome ou pierre.

L’unification de la Chine, renforcée au début de la nouvelle dynastie, aboutit à la création d’un empire s’enfonçant très loin dans l’Asie centrale et étendant son influence de la Corée au Vietnam. Sur les bases d’une prospérité sans précédent allait se constituer jusqu’au milieu du VIIIe siècle une civilisation à la fois novatrice et perméable aux influences étrangères, dont celle, capitale, du bouddhisme. La peinture, à défaut d’œuvres attestées, a fait passer à la postérité plusieurs noms d’artistes ayant acquis auprès de leurs contemporains un prestige incomparable, signe de l’évolution définitive de leur statut. Yan Liben, mort en 673, est connu comme portraitiste; Wang Wei (699-759), peintre et poète à la fois, représente l’idéal du lettré pour les générations à venir, sans doute parce qu’il a libéré le paysage de tous les enjolivements dont il se parait encore pour lui conférer une réelle valeur poétique, grâce à la technique du monochrome dont il serait l’inventeur. Wu Daozi enfin, actif dans le deuxième quart du VIIIe siècle, a dominé son époque et se voit attribuer quelque trois cents peintures murales dans les temples de Luoyang et de Chang’an. Si aucune d’entre elles n’a survécu, les grottes de Dunhuang, où un style proprement chinois commence à percer vers le VIIe siècle, nous donnent une idée assez exacte sinon de l’esprit et des couleurs de ses œuvres, du moins des sujets qu’il a pu aborder: trinités, paradis, légendes accréditant la foi bouddhique mises en scène dans de véritables paysages et souvent émaillées de sujets profanes. Le style des peintres de la cour, même transmis par les mains d’artisans anonymes, est aujourd’hui mieux apprécié grâce aux nombreuses découvertes de tombes, dont certaines sont princières, dans les environs de Xi’an. Reflet d’une société cosmopolite, ces peintures sur enduit sec, déployées sur de larges surfaces, s’inspirent de scènes de palais et des divertissements de la noblesse. Les arts décoratifs ne sont pas en reste. Toutes les audaces leur semblent autorisées : taches des céramiques « trois-couleurs » jetées sans tenir compte du sujet ou du dessin des pièces; combinaison délibérée de thèmes ou de formes exotiques avec le répertoire traditionnel chinois dans l’orfèvrerie (trésor de Hejiacun) ou les textiles (découvertes de Turfan, au Xinjiang); animation poussée jusqu’à la véhémence des sculptures funéraires au vigoureux modelé, etc. La révolte d’An Lushan en 755 et ses conséquences dramatiques devaient porter un coup d’arrêt au rayonnement de cet art somptueux et l’obliger à plus de retenue.

L’époque des Cinq Dynasties (907-960)

La dynastie Tang s’effondre au début du Xe siècle, laissant la Chine épuisée par les désastres militaires et économiques. L’Empire restera, pendant près d’un siècle, en proie à l’anarchie, partagé en royaumes indépendants où se succèdent d’éphémères dynasties. Les cours locales demeurent des centres actifs où l’art pictural se développe et s’enrichit dans la voie tracée par Wang Wei sous les Tang. Dong Yuan (actif vers 937-975) introduit ainsi dans l’art du paysage toute la gamme poétique de la Chine du Sud, humide et boisée, aux sommets noyés de brume. Ses recherches techniques et l’univers qu’il transpose auront une influence considérable sur la peinture Song. Il inaugure ces paysages aux lointains illimités où s’estompent les formes, ces compositions orchestrées autour des vides et des brumes.

La dynastie Song (960-1279)

Sous les Song, la Chine, enserrée par les Barbares, se recueille sur ses richesses, approfondissant l’acquis d’un patrimoine déjà prestigieux. En ce qui concerne l’art architectural, cette époque développe et parachève les caractéristiques plus rudes et plus simples de l’architecture Tang. Les progrès de la charpente, la place plus importante donnée à la décoration, l’innovation que constitue la courbure des toits et la tendance à la verticalité marquent l’esthétique Song. Mais les plus belles réalisations artistiques de cette période appartiennent au domaine de la peinture et à celui de la céramique. Sous l’égide de l’empereur Huizong (1082-1135) qui régna de 1101 à 1126 et fut à la fois collectionneur, calligraphe, esthète et peintre, un style de cour se crée, réaliste et décoratif, d’un esprit opposé aux recherches de cénacle des lettrés contemporains. Parmi ces lettrés, Mi Fu (1051-1107), grand calligraphe, ne se mit à peindre qu’à la fin de sa vie, faisant appel à son expérience calligraphique pour évoquer la nature, et construisant ses paysages avec des points qui suggéraient les masses montagneuses, les arbres et les bois accrochés aux pentes. Influencée par Dong Yuan, sa technique marque un progrès vers l’évanescence.

Loin du romantisme qui régnait à la cour de Hangzhou, au XIIe siècle, avec des artistes comme Ma Yuan et Xia Gui, des peintres retirés dans les monastères de la secte bouddhique Chan développaient un style spontané et indépendant. Deux grands maîtres, à la fin des Song du Sud, ont exprimé les expériences spirituelles de cette secte: Liang Kai (1140-1210), qui parvint à un style abstrait et expressif, à un art de l’essentiel sans redites ni concessions; Muqi (actif 1240-1270) dont la vision empreinte de tendresse se plut aux thèmes simples (kakis, animaux, barques rentrant au village).

La céramique Song, comme la peinture, demeure l’évocation parfaite d’une culture de dilettantes, raffinée, close sur ses rêves. Sa perfection technique, servie par une plus grande rapidité du tour et une meilleure surveillance de la cuisson, restera inégalée. La fabrication reste parfois empirique et les accidents de préparation ou de four donnent à certaines pièces un charme particulier et mystérieux. Les formes sont sobres et pures, les décors (fleurs, oiseaux, poissons) sont le plus souvent incisés ou moulés sous la couverte monochrome. Parfois aussi, les tonalités de la matière, le velouté de son toucher tiennent lieu de décor.

Le lettré Song sensible aux jeux du pinceau et au raffinement de la porcelaine se passionne pour l’Antiquité. L’empereur Huizong donne l’exemple, faisant fouiller à Anyang et collectionnant bronzes et jades archaïques. Les artisans reprennent les thèmes anciens sans toujours en comprendre la signification première, et les arts mineurs (bronzes, jades) se ressentent de cette tendance. En revanche, l’art du laque connaît un grand essor et plusieurs techniques nouvelles semblent avoir été mises au point à cette époque.

La dynastie Yuan (1280-1368)

En 1276, Hangzhou capitule devant les Mongols, et la Chine, pour la première fois, tombe tout entière aux mains des envahisseurs. Certains lettrés se rallient au nouveau régime. Le plus célèbre, Zhao Mengfu (1254-1322), fut un excellent calligraphe, paysagiste et peintre de chevaux.

Le plus grand peintre de ce temps reste peut-être Ni Zan (1301-1374), esprit bohème, solitaire et sensitif à l’extrême. Ses paysages dépeuplés sont en général de petit format; son pinceau incliné et sec renforce le trait nerveux en laissant jouer les blancs du fond. Les vides prennent ainsi toute leur résonance. Appartenant avec Ni Zan, Wang Meng et Wu Zhen au groupe des paysagistes retirés en Chine du Sud, Huang Gongwang (1269-1354) revient aux compositions riches et détaillées, aux structures solides du Xe siècle.

Sous le règne des Yuan, la plupart des fours Song poursuivent leur activité, et les exportations augmentent tant vers l’Iran que vers l’Inde et l’Indochine. L’apparition en Chine du bleu de cobalt importé d’Iran date vraisemblablement du XIIIe siècle. Les progrès de la technique de cette nouvelle porcelaine décorée en bleu sous couverte aboutissent à des pièces au décor complexe de dragons, de phénix et de motifs végétaux.

La dynastie Ming (1368-1644)

La nouvelle dynastie chinoise qui prit le nom de Ming voulut se rattacher à la tradition des Tang. L’empereur Yongle (1403-1424) établit la capitale à Pékin qu’il embellit de palais, de terrasses de marbre et de jardins.

La peinture restait l’apanage des lettrés. Certains, comme Shen Zhou (1427-1509), étaient des amateurs qui concevaient la peinture comme une expression de la personnalité. Leur style, souvent « à la manière de », est éclectique, faisant prédominer une technique parfaite, un jeu du pinceau et de l’encre associé à la poésie et à la calligraphie.

À la fin du XIVe siècle et au XVe siècle, les arts mineurs connaissent une période de renouveau, tant dans le domaine de l’inspiration créatrice que dans celui des matières précieuses: émaux cloisonnés destinés aux cérémonies religieuses, laques sculptés d’une perfection sans égale. Le laque est également le revêtement des meubles précieux, armoires, coffres au décor à la fois riche et d’une sobre élégance. La céramique participe à cet essor de l’artisanat d’art. La technique, mise au point sous les Yuan, qui consiste à peindre des motifs en bleu de cobalt sur le corps de la porcelaine ensuite revêtu d’une couverture, connaît une vogue croissante. L’époque Xuande (1426-1435) produisit peut-être les « bleu et blanc » les plus parfaits; les formes sont pures, la porcelaine fine et le bleu appliqué en lavis moucheté. À côté de ces pièces, les potiers Ming ont associé le bleu sous couverte aux émaux colorés, et ont décoré de motifs floraux les grès recouverts de glaçures plombifères. La clarté du décor, la somptuosité des couleurs s’allient à des formes robustes caractéristiques des Ming.

La dynastie Qing (1644-1911)

Sous le nom dynastique de Qing, les Mandchous réussirent à se maintenir en Chine près de trois siècles. Trois souverains de valeur se succédèrent de la seconde moitié du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe: Kangxi (1662-1722), Yongzheng (1723-1735) et Qianlong (1736-1796).

L’ensemble du palais impérial de Pékin avait été incendié à la chute des Ming en 1644, les empereurs mandchous le restaurèrent et le complétèrent. Au nord-ouest de la capitale, ils firent construire des palais d’été entourés de parcs, de pièces d’eau et de pavillons. Au sud-est de Pékin, Qianlong fit restaurer l’autel du Ciel édifié par Yongle.

L’époque Qing fut l’ère des grandes encyclopédies, des collections littéraires, du goût pour l’archéologie et les compilations. Dans cette ligne, un grand nombre de peintres suivirent les idéaux des lettrés de la fin des Ming férus de tradition. L’étude et la copie des maîtres anciens devinrent avec la maîtrise technique la recherche essentielle des quatre maîtres Wang, dont Wang Hui (1632-1720) fut certainement le plus éclectique et Wang Yuanqi (1642-1715) le plus original.

À côté de ces peintres orthodoxes, des artistes isolés poursuivent une voie plus personnelle, manifestant leur mépris envers la domination étrangère et les recherches des peintres officiels. Ainsi, Shitao (qui travaille entre 1660 et 1707), réfugié dans un monastère bouddhique, réclame pour l’artiste la plus complète liberté. À côté de grandes compositions violentes, il se plaît au petit format des feuilles d’album, et son art témoigne d’une compréhension globale et convaincante des éléments naturels. Moine lui aussi, Zhu Da (1626-1705) peint avec une égale spontanéité paysages et animaux. Le pinceau large ou crispé, l’encre sèche ou coulante dialoguent en des esquisses vigoureuses, rapides et spirituelles.

Les arts décoratifs connaissent sous le règne de Kangxi une dernière époque d’harmonie avant de subir aux XVIIIe et XIXe siècles les déformations de la surcharge. La perfection technique à laquelle sont parvenus les potiers va permettre toutes les recherches décoratives, mais aussi les virtuosités les plus néfastes. Une division extrême du travail, la surveillance de la manufacture impériale par l’Académie de peinture enlèvent à l’artisan toute initiative personnelle et à l’art de la porcelaine toute possibilité de renouvellement. Le goût de l’archaïsme et les commandes occidentales précipiteront encore le déclin de la céramique à la fin du XVIIIe siècle. Au siècle suivant, la complication constante des formes, la multiplication d’éléments décoratifs disparates rendront manifeste, dans tous les domaines de l’art, la décadence du goût.

2. Archéologie

Les premiers inventaires du patrimoine culturel

Nulle nation, peut-être, n’a développé autant que la Chine le sens historique et le culte du passé. L’approche archéologique de l’histoire y apparaît aux environs de notre ère, avec la classification en âge de la pierre, du bronze et du fer. Mais ces prémices ne portent pas de fruit et, pendant des siècles, seules les inscriptions que portent certains bronzes archaïques, et dont l’étude doit servir à confirmer l’interprétation d’un âge d’or de l’histoire ancienne, intéressent les lettrés. Bronzes, céramiques et jades sont collectionnés comme des objets de curiosité, sans qu’une grande attention soit prêtée à l’information historique que ces objets peuvent en eux-mêmes apporter.

La dynastie des Song opère un vaste recensement du patrimoine culturel chinois, et un mouvement archaïsant se fait nettement sentir. Au XIIe siècle, l’empereur Huizong fait effectuer à Anyang, dans la province du Henan, site de la dernière capitale de la dynastie Shang du XIVe au XIe siècle avant notre ère, des fouilles dont le produit vient enrichir les collections impériales. À son exemple, les riches lettrés réunissent des collections d’objets anciens; des catalogues sont rédigés dont l’un des premiers est le fameux Kaogu tu (« Illustrations pour l’étude de l’Antiquité ») de Lü Dalin. L’auteur recense, en dix volumes, 211 bronzes et 13 jades provenant du palais et de collections privées, en donnant, pour chaque pièce, le lieu d’origine lorsqu’il est connu, les dimensions, le poids, et en accompagnant ses descriptions d’illustrations. Cet ouvrage précieux, qui préfigure les études archéologiques modernes, sera suivi d’autres manuels. L’immense travail d’inventaire et de documentation accompli par les savants de l’époque Song reste, dans son ensemble, valable. Mais cet effort sera sans lendemain, et les recherches seront désormais moins inspirées par un souci d’information scientifique que par un goût d’amateurs d’antiquités. Le renouveau d’intérêt pour l’archéologie qui se manifeste de la fin du XVIIe au XIXe siècle se cantonne presque entièrement dans les études d’épigraphie.

L’archéologie scientifique

L’Academia Sinica

La conscience archéologique apparue très tôt, la tradition historique cultivée par les lettrés, la longue expérience acquise par les collectionneurs et les antiquaires chinois ont, sans aucun doute, facilité et accéléré le développement d’une archéologie scientifique née sous l’influence de l’Occident au début du XXe siècle.

À la suite de la révolution de 1911 et du Mouvement du 4 mai 1919 se constitue une école de critique historique qui tient compte des données archéologiques. Au même moment, des savants occidentaux arrivent en Chine; les missions d’exploration se succèdent, qui révèlent au monde occidental les richesses de la civilisation chinoise. En 1920, le Suédois J. G. Andersson découvre des sites néolithiques de poterie peinte au Henan, puis au Gansu, tandis que deux missionnaires jésuites, E. Licent et P. Teilhard de Chardin, fouillent le site paléolithique de Zhoukoudian, près de Pékin, sous l’égide du Service géologique chinois.

En 1898-1899, des milliers de fragments d’écailles de tortue et d’os inscrits avaient été trouvés à Xiaotun, près d’Anyang au Henan. Le savant Luo Zhenyu établit, en 1915, qu’il s’agit d’os divinatoires remontant à la dynastie Shang. Les recherches sur ces os sont poursuivies par Wang Guowei et Dong Zuobin qui fondent, en 1927, avec Li Ji, Guo Moruo et Pei Wenzhong, l’Academia Sinica, institut d’histoire et de philosophie.

En 1928, une culture néolithique de la poterie noire, dite de Longshan, est découverte au Shandong, et d’autres sites néolithiques sont mis au jour dans différentes provinces. Mais la plus grande tâche de l’archéologie chinoise à cette époque est la fouille de l’ancienne capitale Shang, au village de Xiaotun, près d’Anyang. L’Academia Sinica, sous la direction de Li Ji, y conduisit quinze campagnes de fouilles de 1928 à 1937, et beaucoup de jeunes archéologues qui comptent parmi les maîtres de l’archéologie chinoise actuelle reçurent leur formation sur ce chantier. La collection d’objets recueillis pendant cette période se trouve maintenant à Formose.

L’archéologie apportait aux historiens chinois un instrument nouveau et de nouvelles méthodes de datation. Le matériel s’accumulant, des premiers classements parmi des groupes culturels sont tentés à titre d’hypothèse. Les études de Guo Moruo sur la société ancienne, les recherches de B. Karlgren sur le développement stylistique des bronzes archaïques comptent parmi les travaux les plus importants des années trente.

Les progrès de cette science débutante sont interrompus, dès 1937, par la guerre sinojaponaise. Des missions japonaises prospectent en Chine du Nord et en Mandchourie. Repliés en Chine du Sud et de l’Ouest, les membres de l’Academia Sinica fouillent au Sichuan des tombes de l’époque Han (IIIe s. av.-IIIe s. apr. J.-C.), recueillant de riches informations sur la vie chinoise de cette époque. La pause que constitue la période 1937-1949 permet en outre la rédaction du rapport complet des fouilles d’Anyang, les premiers essais de synthèse et l’élaboration de programmes d’avenir.

La période 1949-1987

Dès 1950, l’Institut d’archéologie de l’Académie des sciences prend la relève de l’Academia Sinica émigrée à Taiwan et rouvre le chantier d’Anyang. La même année, une phase de la culture Shang, antérieure à Anyang, est dévouverte à Zhengzhou. Une autre culture, celle de Erlitou, mise en évidence à partir de 1959, et qui reste l’objet d’un débat passionné, pourrait représenter, du moins dans ses niveaux anciens, la dynastie Xia. Par ailleurs, des douzaines de sites Shang sont maintenant connus sur un territoire très vaste. De même commence à se dessiner l’importance du complexe culturel de la ceinture nord de la Chine, de la Mongolie-Intérieure au Liaoning et au Heilongjiang.

En 1976 est découverte la première tombe royale Shang non violée, celle de Fu Hao (ou Zi), une épouse royale dont l’identité exacte et les dates restent controversées. L’archéologie Shang apparaît donc totalement renouvelée par les fouilles des dernières décennies; une plus grande ouverture, un contact plus étroit des archéologues chinois avec les spécialistes étrangers et avec la littérature archéologique non chinoise ont également été déterminants. Il en va de même pour notre connaissance de la préhistoire que les fouilles plus récentes ont enrichie de façon spectaculaire. Dans ce domaine, l’image qui prévalait, assez sommaire et tronquée, a été bouleversée de fond en comble. La découverte de milliers de sites, la mise en évidence de cultures du début du Néolithique tant en Chine du Sud-Est qu’en Chine du Nord, une meilleure évaluation des faciès régionaux, de l’évolution de différents centres comme de leurs interrelations, du VIe au IIe millénaire avant notre ère, constituent l’un des acquis majeurs de l’archéologie chinoise actuelle. Autour du problème de la néolithisation, une réflexion plus approfondie sur la technologie et sur l’économie se fait jour. Enfin, à travers certains traits culturels propres au Néolithique des régions orientales se comprennent beaucoup mieux les pratiques rituelles et la formation du vocabulaire des débuts de l’âge du bronze.

La préhistoire et l’âge du bronze n’ont pas seuls bénéficié des travaux des archéologues depuis 1949. Les fouilles ont touché toutes les périodes de l’histoire chinoise et tous les aspects de la civilisation. Elles ont livré un énorme corpus d’inscriptions, des textes manuscrits conservés dans les tombes – textes philosophiques, médicaux, juridiques, administratifs... –, mais aussi des données sur l’histoire des sciences et des techniques, de même qu’elles ont complètement renouvelé notre connaissance de l’art chinois, de ses savoir-faire, de ses modes d’expression et de son évolution; il n’est pas jusqu’à la peinture des lettrés dont des exemples n’aient été trouvés dans des tombes. Les fouilles ont révélé également des civilisations non « Han » jusque-là insoupçonnées, au Yunnan, par exemple; elles ont mis en lumière les contacts que, de tout temps, la Chine a entretenus avec d’autres cultures. En fait, il n’est plus un domaine du passé chinois qui puisse être abordé en ignorant les acquis de l’archéologie.

Parallèlement au travail de terrain, et dès 1950, de nombreux musées sont créés, provinciaux, municipaux, puis plus récemment de sites (Lintong, Leigudun...); des commissions pour la préservation des monuments et des vestiges sont instituées; les sociétés savantes se multiplient. Trois revues archéologiques ont été publiées de façon régulière jusqu’en 1966. Leur publication, interrompue pendant la révolution culturelle, a repris en 1972. À partir de 1979, chaque province, mais aussi chaque grande ville, chaque université importante va publier sa revue, destinée à faire connaître découvertes et recherches. De même se multiplient depuis le début des années 1980 les expositions archéologiques en Chine et à l’étranger, les colloques nationaux et internationaux sur certaines périodes ou sur certains thèmes (la dynastie Shang, les origines de la métallurgie, le royaume de Chu, la technologie de la céramique, l’âge du bronze du Nord-Est...). Ces expositions et ces colloques ont contribué à la diffusion des découvertes chinoises hors de Chine et à une certaine internationalisation des recherches. Mais ces résultats ne doivent pas faire oublier les limites de l’archéologie chinoise actuelle et les menaces qui pèsent sur elle. Fondée sur des fouilles de sauvetage, elle reste essentiellement une archéologie de l’objet et une archéologie funéraire, avec une tendance à privilégier les tombes riches, à négliger, pour la période historique, les vestiges d’habitat et à utiliser assez peu les méthodologies modernes (archéologie aérienne...).

Depuis trente ans et de façon de plus en plus accélérée, le paysage chinois connaît des transformations irréversibles: modification des techniques culturales, grands travaux hydrauliques, urbanisation sauvage, etc. Ce que ces bouleversements entraînent pour la disparition de témoignages du passé est sans commune mesure avec les découvertes pourtant innombrables auxquelles donnent lieu les travaux de modernisation. Parallèlement, et là est le paradoxe, l’accélération spectaculaire des fouilles depuis deux décennies aboutit souvent à des fouilles destructrices de sites et à un engorgement des données qui ne peuvent matériellement pas être étudiées et traitées, risquant ainsi une mort plus certaine dans les réserves des musées et des universités que dans le sol où elles étaient enfouies. La gestion et la conservation des vestiges matériels exigeraient des moyens énormes, des bataillons de scientifiques formés aux méthodologies de pointe, une collaboration interdisciplinaire en Chine même et sur le plan international. Les découvertes exceptionnelles – celle des fosses aux guerriers du mausolée de Qin Shi huangdi, celle de la nécropole des princes Qin à Fengxiang, de la tombe du second roi du Nan Yue à Canton, plus récemment celle de Guanghan au Sichuan –, le flot incessant des publications, quelques magnifiques réalisations dans le domaine de la restauration (quadrige en bronze du mausolée de Qin Shi huangdi, par exemple) ne peuvent masquer une situation alarmante, en amont comme en aval des fouilles, pour la connaissance du passé chinois.

3. Bronzes

Bien que des incertitudes subsistent encore sur les débuts de la métallurgie en Chine, les premières étapes de son développement ne semblent pas globalement différentes de ce qui a été observé pour le Proche-Orient ancien. Cependant, à partir de 1600 avant J.-C. environ, l’art du bronze se signale par une profonde originalité. Le prestige considérable dont il jouit dès ce moment va faire de lui une des expressions majeures de l’art chinois pendant plus d’un millénaire.

Des origines encore mal connues

De menus objets en bronze et en cuivre pur ont été découverts en nombre relativement grand au Gansu et au Qinghai (cultures de Majiayao, de Machang, et surtout de Qijia), et de manière sporadique au Shandong (culture de Longshan), au Hebei et en Mongolie intérieure (culture de Xiajiadian inférieur). Datés du IIIe millénaire et du début du IIe millénaire, ils sont soit fondus, soit martelés. Il est impossible néanmoins de savoir si ces premiers témoins mis au jour dans les régions occidentales et septentrionales de la Chine sont le produit d’une invention locale de la métallurgie ou s’ils ont été fabriqués à la suite d’une importation partielle ou totale de la technique.

C’est au Henan, loin de ces sites chalcolithiques, que l’art du bronze allait s’épanouir de la manière la plus remarquable dans la seconde moitié du IIe millénaire. Le fait que des contacts ont existé entre la région du cours moyen du fleuve Jaune et les contrées de l’Ouest n’explique pas pour autant l’apparition assez soudaine de vases fondus, de facture complexe, sur des sites de la culture d’Erlitou, à proximité de Luoyang (env. 1900-1500 av. J.-C.).

L’archéologie ne répond encore clairement à aucune de ces questions. On sait seulement que les techniques de céramique de la plaine centrale ont favorisé, plus qu’ailleurs sans doute, le développement de la métallurgie, avec des températures de cuisson s’élevant jusqu’à 950-1050 0C, avec l’utilisation de moules pour fabriquer de nombreuses formes en céramique.

Les premiers foyers de l’Âge du bronze

Les bronzes d’Erlitou ont été découverts à la surface du site, mais aussi dans des fosses et des tombes: il s’agit de vases rituels, de clochettes, d’armes auxquels s’ajoutent deux plaques de pectoral incrustées de turquoise.

Les vases sont des tripodes jue et jia , ayant des pieds pointus, une panse ovoïde, et une anse, les jue se distinguant des jia par la présence d’un bec verseur extrêmement effilé. Sans décor en général, et d’une facture encore gauche, ils s’apparentent aux vases en terre cuite de même type mais ils s’en différencient par la finesse des parois.

D’emblée, la technique de fonte y montre sa spécificité: ces vases ont été fondus, comme le seront tous les bronzes Shang et Zhou, non à la cire perdue, mais dans des moules segmentés dont les différentes parties sont assemblées à tenon et mortaise. Ce mode de fabrication a eu des conséquences considérables sur l’esthétique même des pièces: il se révèle particulièrement adapté à des formes régulières, en général symétriques; une fois fondus, les vases présentent aux endroits précis où les segments se joignent des coutures, visibles lorsqu’elles n’ont pas été soigneusement ébarbées, et qui délimitent souvent des zones de décor.

C’est au début des Shang, durant la phase d’Erligang (env. XVe-XIVe s. av. J.-C.), que se constitue le motif désigné sous le nom de taotie . Caractérisé d’abord par deux yeux ovales, il va progressivement s’enrichir de traits d’inspiration zoomorphe (naseaux, mâchoires assorties de crocs, cornes, oreilles, griffes, etc.) sans pour autant s’identifier à un quelconque animal connu. La typologie des vases rituels s’étend à de nouvelles formes. Aux jia et jue s’ajoutent, également pour les libations, des you , sortes de bouteilles munies d’une anse arquée et d’un couvercle, des jarres largement évasées (zun ) ou rétrécies à l’ouverture (lei ), des gu , en forme de calice. Les offrandes de viande et de céréales sont cuites dans des tripodes à pieds pleins (ding ) ou creux (li ), et présentées dans des coupes gui . Le xian (ou yan ) sert à la cuisson à la vapeur. Des bassins (pan ) contiennent l’eau des ablutions.

Les bronzes de la phase d’Erligang ont été découverts sur un territoire étendu, témoignant à cette époque d’un rayonnement de la culture Shang dont les effets seront considérables sur l’essor de traditions métallurgiques indépendantes, notamment dans le Sud et dans l’Ouest.

Les cultures de la phase d’Anyang (env. 1300-1050 av. J.-C.)

Bien que des découvertes récentes au Sichuan, au Hunan et au Jiangxi contredisent l’idée d’un État Shang entouré de régions incultes peuplées de « barbares », le nom d’Anyang (Henan), qui est identifié comme le site de sa dernière capitale, n’en reste pas moins comme le symbole de l’âge classique des bronzes chinois.

Le contenu de la tombe de Fu Hao (vers 1200 av. J.-C.), qui illustre remarquablement l’art royal de la phase d’Anyang avec plus de deux cents vases et quantité d’armes en bronze, révèle l’apparition de récipients gong et zun reproduisant des animaux (chouettes et quadrupèdes, surtout), seules concessions à des formes dissymétriques, celle aussi de vases aux profils anguleux, bordés ou coupés par des arêtes verticales très prononcées compartimentant le décor. Le taotie se réfère désormais plus franchement au monde animal, à l’exemple des dragons. Des motifs inspirés, plutôt que copiés de la nature – le langage qui les dépeint reste hautement codifié –, peuplent la surface des vases: tigres, serpents, cigales, oiseaux, etc. Sauf en de très rares occasions, l’homme ne trouve pas sa place dans cet univers clos sur lui-même, pétri de conventions. Les figures sont disposées indépendamment les unes des autres et n’interfèrent qu’exceptionnellement entre elles.

La signification de ces motifs pose des problèmes d’interprétation très complexes: signes de clans ou de familles? Symboles religieux? D’aucuns voient dans les créatures figurées les intermédiaires entre l’homme et le monde des esprits par analogie avec les images produites dans d’autres sociétés. En l’absence de tout texte de l’époque – les inscriptions oraculaires n’apportant rien dans ce domaine –, on ne peut guère dépasser le stade des hypothèses.

En dehors de la région dite métropolitaine, parce que centrée autour d’Anyang, à l’unité stylistique de la phase d’Erligang succèdent plusieurs traditions provinciales dont la véritable place commence seulement d’être perçue. La région située au sud du fleuve Bleu (Hunan, Jiangxi) a ainsi possédé une métallurgie originale d’excellente qualité, ayant produit notamment d’énormes cloches emmanchées dans un socle (et non pas suspendues), que l’on frappait avec un maillet, et des vases représentant en ronde bosse des éléphants, des buffles ou des tigres. Au Sichuan, des masques humains aux traits fortement accentués et une statue d’homme grandeur nature, la seule de cette espèce de toute l’antiquité chinoise, ont été découverts à Guanghan en 1986 dans deux fosses sacrificielles, révélant ainsi l’existence d’un art de sculpteurs. Plus que de différences stylistiques ou qualitatives qui demeurent indéniables, ces productions rendent compte de pratiques rituelles autres que celles des Shang d’Anyang, et donc de cultures distinctes, mais aux développements parallèles.

Les Zhou occidentaux: emprunts et renouveau

La plupart des bronzes des Zhou occidentaux (vers 1050-771 av. J.-C.) proviennent de caches où ils ont été entreposés en 771 lors des troubles au cours desquels la royauté a quitté la région de Xi’an pour la capitale secondaire du royaume. Chengzhou (aujourd’hui Luoyang). Ce fait rend difficile l’établissement de leur chronologie. Certains vases du début des Zhou portent cependant de longues inscriptions gravées lors de la fonte, inscriptions qui indiquent les circonstances qui ont inspiré leur fabrication, parfois le nom du commanditaire, ou celui d’un ancêtre à qui le vase est dédié. Si leur fonction politique et religieuse est ainsi mise en valeur, la mention de plusieurs noms de rois, de personnages importants, d’événements historiques, comme le style de leur calligraphie, permet aussi de les dater.

Tout en étant les héritiers des traditions élaborées sous les Shang, les premiers bronzes Zhou offrent une grande diversité de styles. Les plus remarquables, aux formes massives, s’enrichissent d’éléments que l’on peut qualifier d’« excentriques » en regard de ces traditions: arêtes découpées de crochets, motifs de dragons dont le corps s’enroule en spirale, animaux rapportés en ronde bosse. Progressivement, le motif du taotie est délaissé au profit de deux oiseaux affrontés dont les têtes sont surmontées d’une grande crête ou d’une aigrette.

Une véritable révolution va, semble-t-il, affecter le rituel au cours duquel ces vases étaient utilisés: la majorité des contenants pour l’alcool disparaît tandis que l’éventail des vases pour la nourriture s’enrichit de nouvelles formes (dou , fu , xu ). Les ding et les gui figurent maintenant de manière systématique en séries, et leur nombre semble en étroite relation avec le rang de leur propriétaire dans la hiérarchie sociale. Des cloches suspendues de tailles différentes et assemblées en carillon sont associées aux vases rituels avec lesquels elles partagent les mêmes décors.

L’évolution des motifs, ponctuée de références au passé, demeure complexe malgré une tendance générale à l’abstraction. Des vagues, des écailles, des dragons, dont les caractères zoomorphes sont réduits à l’essentiel, s’intègrent dans des schémas décoratifs qui ignorent désormais les divisions verticales, et donc la segmentation des moules. Des effets de symétrie dans le détail des motifs ou dans leur combinaison deux à deux ne sont plus seulement obtenus par rapport à un axe vertical ou horizontal, mais par rapport à un point central. Cette formule va permettre un usage de plus en plus répandu de l’entrelacs.

Les Zhou orientaux: splendeur et déclin

L’affaiblissement du pouvoir central à partir du VIIIe siècle a permis aux principautés de s’émanciper. Progressivement se sont développés sur leur territoire des centres métallurgiques capables de fondre, à l’exemple des ateliers royaux, les bronzes indispensables aux cérémonies religieuses et funéraires. Les traditions des principautés s’expriment ainsi différemment à partir d’un répertoire commun de formes et d’ornements. Les inscriptions portées sur certaines pièces se contentent désormais d’identifier par son nom et son titre, parfois par son pays, le patron des sacrifices et de formuler des vœux pour les bienfaits attendus.

Le décor, de plus en plus centré sur le thème du dragon, agrémenté de motifs géométriques, privilégie le mouvement au détriment des détails anatomiques susceptibles de donner de la crédibilité aux créatures représentées. Les artisans recourent de plus en plus au motif de l’entrelacs et obtiennent des effets de texture en reproduisant côte à côte des unités carrées ou rectangulaires dans lesquelles s’inscrivent des dragons-serpents entrecroisés.

Aux VIe-Ve siècles, les différents courants stylistiques perdent progressivement leur autonomie pour se fédérer autour des traditions élaborées dans les principautés de Jin et de Chu, l’une et l’autre d’esprit très opposé: celle de Jin s’oriente vers un traitement naturaliste des thèmes animaliers, remet le taotie au goût du jour et privilégie le détail précis. Celle de Chu témoigne d’un goût de la surcharge caractérisé par des dragons et diverses créatures devenues méconnaissables sous une nuée d’éléments abstraits en léger relief tels que pastilles, crochets et volutes. À l’une et à l’autre reviennent plusieurs innovations techniques remarquables.

À Chu, par exemple, la fonte à la cire perdue a été inventée pour rendre certains décors vermiculés. Au VIe siècle avant J.-C. réapparaît la technique de l’incrustation, née sous les Shang. Son emploi, étendu au cuivre rouge, à l’or et à l’argent, contribue à un renouveau des thèmes décoratifs, avec l’introduction de décors historiés illustrant sur le mode idéal les activités rituelles, guerrières et ludiques des princes. En même temps, à partir du IVe siècle, tout un courant ornementaliste a su tirer parti des oppositions de couleurs qu’autorise cette technique: celles du bronze avec la fonte de fer, l’or, l’argent et le cuivre, les pierres dures et le verre. Les agrafes de ceinture, parfois les miroirs offrent à eux seuls l’éventail de toutes les formules décoratives de l’époque au moment où la qualité des vases pour le rituel connaît un déclin complet.

4. Orfèvrerie

Un art profane

L’appel de l’or exista de tout temps en Chine, même s’il ne parvint jamais à détrôner le prestige ineffable du jade. Parmi les plus anciens objets chinois en or qui nous soient parvenus figurent les feuilles d’or découvertes dans les tombes de Xinzheng au Henan (VIIIe-VIe s. av. J.-C.). Ces feuilles, assez épaisses et décorées en très léger relief de dragons entrelacés, étaient vraisemblablement appliquées sur des récipients ou des coffres en bois. Mais il faut attendre le grand bouleversement de l’époque des Royaumes combattants (Ve-IIIe s. av. J.-C.) pour voir apparaître un véritable goût pour les métaux précieux.

L’art, d’abord essentiellement religieux, tend peu à peu à devenir profane, et le luxe cesse d’être l’apanage des tombeaux. Les bronzes avec leur polychromie, leurs incrustations de turquoises, de malachite, de jade, d’argent et d’or, témoignent de l’éclat de l’époque féodale. L’art chinois est alors en relation avec des civilisations étrangères qui s’étendent très loin, de l’Asie orientale à l’Asie occidentale, à travers les régions des steppes. Des nomades de la steppe, les Chinois apprennent l’usage de l’agrafe, originellement destinée à la sellerie et à la fixation des vêtements de cuir. Très vite, l’agrafe, en or, en bronze ou même en fer, incrustée de turquoises, de jade, de pierres ou d’argent, devient en Chine une parure de prix. De même se multiplient les objets travaillés au repoussé, martelés ou encore moulés.

Peu à peu, sous les Han (IIIe s. av.-IIIe s. apr. J.-C.), l’usage des métaux précieux s’étend à toutes les classes riches de la société. Les agrafes de cette époque, dans leur diversité, dénotent une habileté technique prodigieuse. Sur certaines, l’incrustation est un pavage de turquoises où les petits fragments de pierre sont sertis par groupes d’un fil d’or qui forme un dessin irrégulier. Sur d’autres, les incrustations de métal alternent avec celles de pierres. D’autres encore portent un décor uniquement métallique de triangles et de losanges souvent compliqués de crochets et de volutes. Parfois, sur un fond clair d’argent adhère un motif ornemental découpé dans une feuille extrêmement mince d’un métal plus foncé, ou vice versa. Ce procédé de niellage est si parfait que le décor donne l’impression d’être peint plutôt qu’incrusté.

Aux effets géométriques et aux stylisations d’animaux viennent s’adjoindre les combats de fauves et les scènes de chasse empruntés au monde des nomades et transmis par l’art de l’Ordos (région située entre la boucle du fleuve Jaune et la Grande Muraille). Les conquêtes chinoises ouvrent en effet le pays à des influences nouvelles: procédé venu de l’ouest, la granulation fait son apparition, s’alliant aux techniques déjà connues du martelage, du repoussé et du sertissage. La tradition implantée en Chine devient rapidement florissante, comme en témoignent les nombreuses fioles et les petites plaques trouvées en Chine, les admirables pièces d’orfèvrerie découvertes à Lolang en Corée du Nord, alors colonie chinoise.

Les raffinements Han se maintiennent en Corée du Sud, aux Ve-VIe siècles, dans le royaume de Silla, dont les tombes princières ont livré des couronnes, des pendants d’oreilles, des ceintures, des bracelets et des clochettes en or d’une délicatesse et d’une élégance remarquables.

L’âge d’or

Cependant la grande époque de l’orfèvrerie chinoise sera celle des Tang (618-907). À l’imitation de l’Iran et de l’Inde, la vaisselle d’or et d’argent va supplanter pour un temps, à la Cour, le bronze, le laque et la céramique. Les formes et les décors de l’orfèvrerie sassanide, introduits à la cour de Chang’an par les artisans, les marchands et les princes étrangers, sont bientôt adoptés, interprétés et recréés selon le goût et l’esprit chinois. Il en résulte une variété de formes et de motifs étonnante, une richesse imaginative alliée à un raffinement de l’exécution qui n’apparaîtront plus au cours des dynasties suivantes. Un trésor, découvert en 1970, dans le village de Hejiacun au sud de Xi’an, au Sh face="EU Caron" オnxi, en donne une illustration remarquable. Ses objets en or, en argent, en or et argent, dont le nombre dépasse les deux cents, permettent de recenser les formes, les décors, mais aussi les techniques en usage entre le VIIe siècle et la première moitié du VIIIe siècle.

L’or venait alors des provinces du Sichuan, du Yunnan, du Guangdong, du Guangxi et du Nord Vietnam. De cette dernière région venait aussi l’argent, également importé de Corée et du Tibet.

La technique sassanide du martelage pour la vaisselle d’or et d’argent connaît une grande vogue, remplaçant les techniques de moulage. Ces apports s’accompagnent de décors inédits, tantôt incisés, tantôt repoussés: chasses dans des paysages, motifs symétriques de vignes et de rosettes.

Les anciennes techniques d’incrustation ne sont pas abandonnées; le filigrane, par contre, tend à remplacer de plus en plus la granulation. Un procédé proprement chinois semble être apparu au VIe siècle: le pingtuo ; le terme signifie « découpé à plat » et désigne surtout des plaques d’or et d’argent ciselées à jour et souvent, en outre, gravées et incrustées dans une couche de laque. La City Art Gallery de Bristol possède un miroir décoré suivant ce procédé. Le dos de l’objet montre, autour du bouton de suspension, des dragons évoluant au milieu de nuages. Le laque dans lequel sont incrustés les motifs découpés a perdu ses couleurs et a en partie disparu, mais le dessin des dragons et de la bordure a conservé son acuité, sa précision et son élégance.

Dans le domaine des bijoux, à côté des longues épingles au décor incisé et découpé, l’incrustation de plumes de martin-pêcheur, les minces filigranes d’or rehaussés de perles annoncent les réalisations des époques ultérieures: mais l’accent sera dorénavant porté sur la richesse et le chatoiement des couleurs bien plus que sur la délicatesse de la ciselure et l’harmonie du décor.

Richesse et surcharge

Sous les Song et sous les Yuan, du XIe au XIVe siècle, les arts du métal semblent avoir été moins appréciés qu’à l’époque Tang; les orfèvres empruntent formes et décors aux laques et aux céramiques. Avec les Ming (1368-1644), un intérêt renouvelé pour les métaux précieux se manifeste, mais les recherches d’effets ne sont pas dépourvues d’une certaine vulgarité, qui se retrouvera sur les pièces d’orfèvrerie de la cour des Qing (1644-1911). L’incrustation de perles et de pierres précieuses (rubis, grenats, améthystes) sous forme de gros cabochons disposés irrégulièrement donne à certaines pièces impérales Ming, aux vases comme aux parures de tête, un aspect un peu barbare et témoignent d’une influence tibétaine. Illustration de l’orfèvrerie chinoise à la fin des Ming, les objets en or trouvés dans la tombe de l’empereur Wanli (1573-1620) ne parviennent pas, malgré leur somptuosité, à égaler les créations du VIIIe siècle.

La Chine, qui ne posséda jamais de grandes réserves de métaux précieux, semble leur avoir accordé une place de choix aux époques d’expansion où régnaient des dynasties ouvertes aux impulsions et aux apports étrangers. C’est ce que confirment, dans leur beauté et leur prestige, les réalisations Han et Tang. Sous des influences venues de l’ouest, l’orfèvrerie réussit alors, pour un temps, à rivaliser avec les créations plus purement chinoises que sont les arts du jade, du bronze et de la céramique.

5. Jade

Origine des néphrites et des jadéites

Dès l’Antiquité, le yu , pierre noble par excellence, a été entouré d’une aura magique dont on trouve l’écho dans les textes historiques et dans la poésie. La beauté de son poli, sa sonorité, sa dureté en ont fait le symbole des cinq vertus morales des confucianistes: bonté, rectitude, sagesse, courage, pureté. Pour les taoïstes, l’absorption de yu , réduit en poudre, devait permettre d’accéder à l’immortalité des Sages. L’emploi de yu dans les rites funéraires semble avoir pour origine les propriétés prophylactiques qui lui étaient attribuées: il était censé protéger les corps de la putréfaction. Depuis le XVIIe siècle, l’Occident a identifié le yu au jade, que découvrirent les Espagnols dans le Nouveau Monde et qu’ils introduisirent en Europe. À l’heure actuelle, ce terme général couvre les néphrites et les jadéites qui se distinguent par leurs indices de dureté et leurs poids spécifiques.

Ces deux matières ne semblent pas avoir existé en Chine, qui les reçut de l’étranger. Le commerce des néphrites vertes du Turkestan (régions de Khotan et de Yarkand) est mentionné dans les textes Han et doit remonter à une époque plus ancienne. Des gisements de néphrites d’un blanc bleuâtre existent au sud du Baïkal. Les archéologues russes ont signalé l’emploi de cette pierre dans les cultures néolithiques de cette région: outillage de la culture de Kitoj (2500-1700 av. J.-C.), parures exhumées des sépultures féminines de la culture de Glaskovo (1700-1200 avant J.-C.). On a longtemps supposé que le rayonnement de ces cultures à travers la Transbaïkalie avait contribué à l’épanouissement de la civilisation des Shang, en Chine du Nord. Les datations doivent donc être révisées et cette influence pourrait, en outre, s’être effectuée de façon indirecte. En Chine même, deux thèses s’affrontent: passage direct au Henan de la poterie rouge à la poterie gris sombre (Miaodigou II) ou bien, à la même époque, existence d’une culture sur le littoral du Jiangsu et au Shandong, culture qui aurait rayonné vers le Hebei et le Henan, au nord, vers le Zhejiang au sud.

De plus, le professeur Kwang-chih Chang a fait état d’un gisement de jade à Nanyang, à 275 kilomètres au sud d’Anyang, gisement exploité actuellement mais dont nous ignorons s’il l’était déjà au cours du Néolithique.

La nomenclature des jades rituels dans le Zhou li , « rituel des Zhou » rédigé à la fin du Ier millénaire avant notre ère, a été utilisée dans des études ultérieures (Kaogu tu , XIIe siècle; travaux des savants de l’époque mandchoue, XVIIIe-XIXe s.). Reprise par Berthold Laufer, discutée par Paul Pelliot, elle a servi dans les classifications occidentales.

Les jades de fouille

À l’heure actuelle, les jades les plus anciens proviennent du Jiangsu septentrional et du Shandong, dont les sites révèlent une agriculture et une organisation sociales plus élaborées ainsi qu’un outillage lithique plus diversifié et mieux poli que ceux du bassin du Huanghe, dits de Yangshao, caractérisés par leurs poteries peintes. Au IVe millénaire avant J.-C., dans le complexe de Dawenkou (Shandong), pour des besoins que l’on suppose rituels, apparaissent des jades en forme de haches et de ciseaux ainsi que des ornements en forme de demi-cercle (huang ) tandis que dans la pierre et l’os sont taillés des disques repercés en leur centre (bi ) et des cubes à ouverture centrale arrondie (zong ).

Ces cultures dites longshanoïdes (d’après le site de Longshan, découvert en 1928 au Shandong, qui en serait l’aboutissement) seraient entrées en contact avec le Yangshao du Henan dont elles auraient adopté la poterie peinte, lui transmettant en même temps l’usage du tour et leur poterie en grès sombre.

Ces contacts auraient contribué à l’éclosion de la civilisation Shang (XVIe-XIe s. av. J.-C.). À Erlitou (actuel Yanshi, au Henan occidental), la couche III a livré quelques bronzes primitifs et des jades inspirés de l’outillage néolithique (couteau dont la surface s’orne d’incisions géométriques et dont les bords sont indentés). Au stade dit de Zhengzhou (Henan occidental), s’y adjoignent de grandes lames à facettes, imitations du ge (hache-poignard) en bronze.

L’art du jade que l’on pense avoir été travaillé au moyen d’un abrasif (quartz) mêlé d’eau, et vraisemblablement à l’aide d’outils en bronze, atteint son apogée à Anyang, l’ancienne cité de Yin, la dernière capitale des Shang, à partir de 1300 avant J.-C. À Yinxu, en 1975, la tombe inviolée de la reine Fu Hao (fin du XIIIe-début du XIIe s. av. J.-C.) a livré 590 objets en jade et en béryl, parmi lesquels des pièces issues du Néolithique, et des bronzes (couteaux, haches, hallebardes, bi , huang zong ) voisinent avec de nombreuses amulettes taillées en silhouette ou en ronde bosse (animaux, masques de taotie, hiboux, poissons, représentations humaines) dont la surface est soulignée par des doubles lignes, incisées ou en relief.

Les Zhou orientaux (1027-771 avant J.-C.) conservent les formes traditionnelles. Des manches d’objets et des amulettes empruntent la grammaire décorative des bronzes: dislocation du masque de taotie, oiseaux à huppe et longue queue, dragons en forme de C, taillés en biseau. Les silhouettes animales sont vivantes et réalistes.

Au début des Zhou occidentaux (VIIIe-Ve s. av. J.-C.), des textes nous précisent l’emploi des jades dans le rituel: le bi , image du ciel, est utilisé lors du décès du souverain, dans les cérémonies d’investiture, ou jeté dans les eaux pour se rendre propices les fleuves. Les hallebardes, devenues insignes de dignité (gui) , sont enterrées au cours de sacrifices célébrant les alliances entre les grands féodaux (Houma, Sh nxi).

À l’époque des Royaumes combattants (Ve-IIIe s. av. J.-C.), les formes traditionnelles se couvrent de spirales, de dragons en S, souvent entrelacés et rehaussés de stries. L’usage d’une roue – et peut-être du fer – permet une grande virtuosité technique. Des objets de parure – symbole de la volonté de prestige de souverains antagonistes – apparaissent: agrafes, pommeaux et gardes d’épée, bagues d’archer, pièces d’appliques, ornements composés de plusieurs plaques ajourées et de têtes de dragons en bronze doré (Guweicun, Huixian, au Henan), bols, boîtes à fard (Jincun, dans la même province). Des plaques minces en jade ou en pierre, que des perforations ménagées aux angles devaient permettre de coudre sur un voile ou sur un suaire, ont été exhumées à Changsha (Hunan) et à Luoyang (Henan). On observe aussi des variétés locales telles les plaques en forme de dragon de Changsha.

Le rituel funéraire se complète au début des Han occidentaux (206 av. - 9 apr. J.-C.). Explorées en 1966 à Mancheng (Hebei), les sépultures du prince Liu Sheng (frère de l’empereur Wudi) et de son épouse Dou Wan ont permis d’observer l’influence de la croyance taoïste dans les qualités apotropaïques du jade grâce aux deux linceuls faits de plaquettes de jade, reliées par des fils d’or (yuyi ). La tête de la princesse reposait sur un oreiller en bronze doré incrusté de jade. Outre de nombreux bi ornés de spirales dont l’un est surmonté de dragons ajourés, on a aussi relevé la présence d’un sceau gravé au nom de la défunte, muni d’un bouton de préhension en forme de personnage agenouillé. Une cigale, symbole de la résurrection, était posée dans la bouche, des œillères couvraient les yeux et dans les autres orifices du corps étaient introduits des tubes en jade. Ces objets sont parfois exécutés dans des pierres moins précieuses, selon un principe hiérarchique dont on trouve l’écho dans les textes. Il semble que des pièces de qualité variable, loin d’être des variétés régionales, soient, en fait, dues à l’observation de tels principes.

En 1972 et en 1977, à Xingzhuan Xianyangxian (Sh face="EU Caron" オnxi), entre les tumulus de deux empereurs des Han occidentaux, furent trouvées, par hasard, quelques pièces exceptionnelles: un génie chevauchant un coursier parmi les nuages, symbole du voyage mystique des Bienheureux Immortels, exprime le triomphe des idéaux taoïstes, de même qu’une chimère ailée, évoquant les grandes sculptures funéraires du IIe siècle après J.-C. On en retrouve d’ailleurs un modèle en bronze incrusté d’argent dans la sépulture d’un prince de Zhongshan (Hebei) remontant au IVe siècle avant J.-C., première apparition des pixie , protecteurs des défunts et de leurs tombes. Les grandes sculptures funéraires bordant le shendao , chemin des âmes, remarquées par Victor Segalen au Sichuan et au Zhejiang (IIe s.-VIe siècle apr. J.-C.) avaient servi de points de comparaison à A. Salmony et Desmond Gure pour la datation de nombreux exemples attribués aux Six Dynasties. Cette méthode comparative, qui garde toute sa valeur, permet, puisque les inscriptions et les exemples sont très rares dans les tombes pillées depuis longtemps, de donner une certaine classification aux collections répandues dans le monde.

Cependant, à la fin des Sui (589-617), réunificateurs de l’empire, un petit gobelet en jade blanc bordé d’or, d’une simplicité où s’exprime la valeur que l’on accordait à une matière si précieuse, a été trouvé dans la tombe de la petite princesse Li Jingxun, décédée en 608.

Rares sont les exemples datant de l’époque Tang (618-907). Dès longtemps violée, la tombe de la princesse Yongtai (706) n’a conservé que quelques fragments d’ornements décorés de fleurs gravées. À Chengdu (Sichuan) la sépulture de Wan Jian, souverain des Shu antérieurs (901-918), a révélé deux boîtes en laque posées à la tête et au pied du cercueil; l’une contenait un bi à décor de phénix et un sceau, l’autre, une ceinture faite de sept plaques de jade gravées de dragons et un volume formé de cinquante-trois feuilles inscrites de jade également et dont les plats s’ornaient d’un guerrier en armure, rehaussé de couleurs. Il s’agit là d’une antique tradition puisque dans la tombe du prince Liu Sheng furent trouvées des lamelles de jade plus étroites, formant un volume dont le texte a diparu.

Retour à l’archaïsme

L’exotisme des Tang subsiste sous les Song (960-1279) avec des rhytons à tête animale. On s’inspire aussi des formes pures des céramiques de l’époque mais, à partir du milieu du XIe siècle, on constate surtout un retour à l’archaïsme des Royaumes combattants et des Han, tendance qui se poursuivra sous la domination mongole des Yuan (1279-1368) et dont le Kao yu tulu (1341) nous apporte l’écho.

Un art fait d’emprunts

À l’époque Ming (1368-1644), la fidélité à la tradition s’allie avec des emprunts aux formes des laques et des céramiques (coupes à anses en forme de dragon ou bols recueillis dans la tombe de l’empereur Wanli). Mais, dans les parures (épingles à cheveux) ou dans les objets destinés au Studio des lettrés, on voit poindre un goût pour la virtuosité et un certain naturalisme (fleurs, fruits, animaux).

Cette tendance ira s’accentuant sous la domination des Mandchous Qing (1644-1911), en particulier sous le règne de l’empereur Qianglong (1736-1796) où avec les néphrites du Turkestan sont travaillées les jadéites blanches extraites de Birmanie ainsi que d’autres pierres dures aux tons variés. Le renouveau des études archéologiques entraîne un retour à l’archaïsme mais l’interprétation des motifs anciens montre qu’on ne les comprenait pas. La recherche de la virtuosité, caractéristique de l’époque, s’exprime dans les manches de pinceau, les objets destinés au Studio des lettrés, telles ces montagnes magiques évoquant les randonnées mystiques chères aux taoïstes. La diffusion du tabac fait naître de petits flacons aux décors divers qui donnent lieu à de véritables tours de force.

À l’heure actuelle, les centres d’artisanat des grandes villes chinoises travaillent encore jade et pierres dures, mais leur production, destinée à l’exportation, est médiocre.

6. Ivoire

Des techniques minutieuses

La production des ivoires chinois s’étend sur plus de trois millénaires. Ils peuvent se répartir en catégories distinctes, liées à leur époque, leur destination et la disponibilité de la matière première. Sous les dynasties Shang et Zhou, l’éléphant était indigène dans le nord et le centre de la Chine; l’ivoire, matière précieuse, était réservé à des objets rituels ou cérémoniels destinés au roi ou à la noblesse. Aux environs de l’ère chrétienne et pendant les siècles qui suivirent, l’éléphant ne subsiste qu’en Chine du Sud et l’ivoire semble avoir été importé occasionnellement de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est. Les pièces connues sont rares et difficiles à dater. En revanche, à partir des Yuan et surtout des Ming, la production devient de plus en plus abondante et variée, servie par un commerce maritime intense qui répand en Chine l’ivoire de l’Asie et de l’Afrique. Enfin, dès le début du XVIIIe siècle, apparaît une fabrication massive destinée à l’exportation vers l’Europe; elle se poursuivra jusqu’aux temps modernes, mais a sombré très vite dans la pure virtuosité.

L’ivoire se travaille facilement avec des outils de métal, dans le sens du grain pour éviter les éclats; il permet un rendu réaliste et minutieux des détails. En vieillissant, l’ivoire prend une patine chaude et brillante que ne peut égaler aucun procédé artificiel (fumées de tabac, ocre, tanin). Sa résistance au temps, sa douceur au toucher après polissage en ont fait un matériau très apprécié des lettrés chinois. La taille est l’ouvrage d’artisans groupés en corporations, qui ne signent leurs œuvres que très rarement. Par contre, beaucoup de pièces sont datées ou portent un poème gravé. Les ivoires peuvent être finement incisés, sculptés, ajourés, incrustés de turquoises ou d’autres matières précieuses. À certaines époques, ils ont été rehaussés de couleurs, laqués ou dorés.

Une production variée

Les ivoires archaïques, qui remontent à 1300 environ avant J.-C., sont de petites dimensions: épingles à large tête, pièces d’ornement, manches d’objets rituels, et ne subsistent souvent qu’à l’état de fragments. Ils portent le même décor gravé que les bronzes, les marbres, les jades contemporains: masques dragons, spirales, cigales. Ce décor évoluera, comme celui des bronzes, à l’époque Zhou, vers un style animalier plus souple. Parmi les plus importants des ivoires archaïques figurent un beau masque de taotie , d’époque Shang, et une pièce d’applique de la fin des Zhou, ornée de dragons entrelacés dans le style des bronzes du Ve siècle (musée Guimet, Paris).

Sous les dynasties suivantes, les ivoires sont rares; les seuls que l’on puisse dater avec certitude, de l’époque Tang, se trouvent dans le trésor du Sh 拏s 拏in, à Nara (Japon): pièces ornementales, instruments de musique, dés à jouer, manches d’éventail ou de poignard.

Les Ming inaugurent une ère d’abondante production; ce sont des statuettes, religieuses ou profanes, traitées avec simplicité et dont l’attitude et les draperies souples s’adaptent à la courbe de la défense; ce sont tous les accessoires du lettré (pots à pinceaux, appuie-bras, écrans de table), ainsi que ceux des fumeurs d’opium. Il faut encore mentionner les ivoires « médicaux » – ils offrent un des seuls exemples de nudités féminines dans l’art chinois –, les sceaux, dont quelques exemplaires impériaux nous sont parvenus, et les ornements des mandarins. Sous les Qing, la variété est plus grande encore et l’habileté technique va croissant. Outre un atelier impérial fondé en 1682 et resté actif jusqu’en 1796, des centres fonctionnent à Canton, Shanghai, Amoy, Ningbo; il est d’ailleurs impossible d’identifier leurs productions respectives. Il semble cependant que les pièces les plus fouillées proviennent du Sud, tandis que les décors du Nord sont à la fois plus sobres et plus robustes.

Depuis le début du XVIIIe siècle, les ateliers de Canton sont spécialisés dans les ivoires d’exportation, qui deviennent des exercices de virtuosité répondant au goût européen pour l’exotique et l’insolite. Tels sont les éventails ajourés, les « boules de Canton » aux nombreuses sphères concentriques, les jeux d’échecs et toutes sortes de bibelots, jusqu’aux maquettes de temples, de pagodes, de palais, tous reproduits avec un grand luxe de détails.

7. Architecture

L’organisation de l’espace

Dans l’ancienne cosmologie chinoise, le Ciel étant conçu comme rond et la Terre comme carrée, l’espace est imaginé sous forme de carrés emboîtés, sortes d’espaces hiérarchisés autour du noyau que constitue la capitale, carré marqué par quatre portes aux quatre orients et centre de convergence des influences cosmiques. On aboutit ainsi à une image géométrique du monde, animée par tout un réseau élémentaire de correspondances spatiales. Les alternances et les oppositions inhérentes au mouvement de l’univers se retrouvent dans l’espace humain. Destinée à refléter cet ordre idéal, l’architecture chinoise a conservé des spéculations anciennes quelques principes essentiels, tels que l’orientation, la pureté géométrique des formes et la symétrie, souvenir d’une organisation dualiste du monde.

L’espace architectural se présente en Chine comme une série de mondes clos, complets, de la ville à la maison privée, qui constituent des unités indépendantes de plus en plus petites, répétant en microcosme les formes des unités plus grandes. Cette décentralisation n’est jamais signe d’anarchie; en Chine, l’aménagement de l’espace fut toujours soumis à des règles, l’architecture y fut un art dirigé, contrôlé par l’État, destiné à assurer un cadre au système social, autant qu’à mettre de l’ordre dans l’univers environnant.

Orientation et axialité

Les notions d’ordre et d’harmonie se retrouvent dans les règles nombreuses et complexes qui président au choix d’un emplacement pour la construction de tout édifice. Les géomanciens versés dans le fengshui , littéralement « vent et eau », sont ainsi chargés de déterminer si la nature du terrain, la configuration du sol, la disposition des arbres, des rochers, des eaux de la région sont favorables aux esprits fastes et capables d’arrêter les esprits néfastes.

L’emplacement une fois fixé, l’architecte trace son plan sans perdre de vue l’axe principal de direction sud-nord. Le symbolisme de cette axialité est évident, car le nord représentait pour les Chinois, outre les rigueurs de l’hiver, le danger des invasions barbares, donc les influences néfastes. Tout bâtiment important, officiel ou privé, s’ouvre par conséquent au sud. Cette axialité correspond en fait à une voie médiane, selon laquelle se fait la découverte progressive de l’ensemble architectural. L’ensemble, qu’il s’agisse d’une ville ou d’un palais, n’est jamais conçu de façon à être saisi d’un seul coup d’œil, comme on le ferait du haut d’un monument, mais bien plutôt à être compris par approche à la fois spatiale et temporelle, à la manière d’une peinture que l’on déroule. Sur l’axe médian, les édifices principaux se succèdent, précédés de vastes cours que ferment à l’est et à l’ouest des bâtiments secondaires.

La tendance est à l’horizontalité, de sorte qu’aucune différenciation hiérarchique entre les bâtiments ne s’opère, comme c’est le cas en Occident, par la position dominante du monument important. Or les Chinois étaient capables de bâtir élevé (maisons à étages, pagodes bouddhiques). La raison de cette unité d’élévation est donc bien, outre le privilège accordé à la ligne horizontale, le principe d’espaces juxtaposés, selon lequel le bâtiment principal se signale seulement par son emplacement, sa surface plus vaste, le luxe déployé dans les matériaux et la décoration.

La cour close

Autour de cet axe orienté, les ensembles architecturaux s’ordonnent selon trois dispositions possibles.

La forme la plus ancienne peut-être se compose de quatre bâtiments autour d’une cour. Cette disposition symétrique, déjà constituée aux environs de notre ère, s’est perpétuée sans grands changements jusqu’au XIXe siècle, et s’applique à toutes les structures, puisque dans le cas des grands ensembles (palais, monastères...) il suffit de multiplier le dispositif.

La deuxième disposition est symétrique de part et d’autre de l’axe sud-nord, le tout étant enclos d’un mur. Cet agencement apparaît par exemple au temple du Ciel à Pékin.

Le troisième agencement enfin (palais impérial à Pékin) conjugue les deux premiers partis.

Ces trois possibilités sont des variations autour d’une constante: la cour fermée sur ses quatre côtés, image d’un monde complet et indépendant.

Pérennité des types, impermanence des matériaux

Cette constante du plan, cette répétition à des échelles différentes d’un modèle unique s’accompagnent d’une grande stabilité dans les types de construction. L’unité la plus répandue est le dian , pavillon rectangulaire (parfois carré, polygonal ou rond), généralement divisé par des colonnes cylindriques en trois nefs transversales ou plus, la première nef formant souvent un portique ouvert. À partir de ce plan simple, on obtient des variantes en surélevant la terrasse sur laquelle repose le pavillon, ou en multipliant les étages de celui-ci.

Ces types de construction qui s’adaptent aussi bien aux palais, aux temples qu’aux habitations privées sont réalisés en bois et destinés à être reconstruits de génération en génération suivant les besoins nouveaux. Cette prédilection pour le bois n’est due ni au manque d’autres matériaux, ni à l’incapacité de les travailler: une tradition de la construction en maçonnerie et en pierre existait également, mais elle était réservée aux ponts, aux remparts, aux terrasses, aux sépultures et à certaines pagodes. La fréquence des tremblements de terre, exigeant une structure flexible, explique peut-être cette préférence pour le bois qui d’ailleurs n’était pas sans présenter des inconvénients, dont le plus grave était le danger de destruction par le feu. Mais les reconstructions étaient aussi rapides qu’étaient violents les cataclysmes, de sorte que les dirigeants chinois n’exigeaient pas des matériaux une résistance qui dépassât une génération. Cette architecture volontairement éphémère s’explique tout autant par le fait que les Chinois n’ont jamais placé leur passion d’éternel dans le monument lui-même, mais dans les idées qui ont présidé à son ordonnancement; l’édifice symbolise ainsi une certaine conception de l’homme dans ses rapports avec l’univers.

L’urbanisme

C’est dans l’espace urbain que se concrétisent le mieux les conceptions architecturales chinoises indissolublement liées à un ordre social tant réel qu’idéal, à une vision structurée du cosmos et à une certaine hiérarchie des valeurs.

Le choix d’une ville est soumis à des impératifs de géomancie, à des considérations pratiques (possibilités de ravitaillement en vivres et en eau, de défense, facilité des communications, présence d’une zone artisanale), enfin à des facteurs culturels parmi lesquels prime la valeur mythique et historique du site.

Les principes fondamentaux de la ville chinoise sont l’enceinte murée, l’axialité et la symétrie, ainsi que l’orientation sud-nord. Les villes chinoises ayant toujours été bâties en s’inspirant d’un modèle antérieur présentent pour cette raison une grande unité, que l’on retrouve dans la conception monumentale qui s’applique ici à l’ensemble de la ville et non à quelques édifices particuliers. Enfin, il n’existe pas de centre autour duquel s’organise toute la composition et à partir duquel tout rayonne, mais plutôt une longue progression sur un axe orienté avec une distribution des éléments de part et d’autre de la composition: ainsi l’axe de Pékin part de Yongdingmen au sud, passe par Tian’anmen, la montagne de Charbon, et aboutit à la tour de la Cloche au nord, avec de part et d’autre les édifices les plus importants de la capitale.

De la cité-palais à la ville moderne

La capitale Shang (XVIIe-XIe s. avant J.-C.), centre nerveux du royaume qu’elle contrôle politiquement et économiquement, protégée par son enceinte en terre damée, centrée sur ses réserves de céréales et son trésor, est animée par le roi, les dignitaires et les prêtres, eux-mêmes servis par un peuple de domestiques, d’artisans groupés par spécialités et d’agriculteurs vivant dans des villages.

Cette cité-palais se transforme à l’époque des Royaumes combattants avec l’augmentation de la population et l’apparition d’une classe urbaine d’artisans libres et de petits commerçants. À partir du VIe siècle, trois unités spatiales distinctes apparaissent à l’intérieur du complexe urbain: un espace clos réservé à l’aristocratie; des quartiers d’artisans et de commerçants dans une enceinte plus large; enfin les champs cultivés à l’extérieur de la muraille.

Cette nouvelle formule aboutit au système urbain très organisé de l’époque Han (IIIe s. av. - IIIe s. apr. J.-C.). La ville, entourée de murailles avec des portes sur les quatre côtés, est divisée en plusieurs quartiers séparés par des rues ou des avenues. Chaque quartier, contenant environ cent maisons, est à son tour entouré d’un mur pourvu d’une seule entrée. À partir de l’entrée unique d’un quartier, des ruelles mènent aux portes de chaque maison. Toutes les portes sont surveillées par des gardes et fermées la nuit. Les administrations se trouvent au centre de la ville; un quartier est réservé au marché près duquel habitent marchands et artisans, tandis que les cultivateurs sont groupés près des portes de la ville. Ce système qui consiste à enfermer le peuple dans un quartier facilite la surveillance et le recrutement.

Le système s’assouplit sous les Tang (618-907). Chaque quartier a désormais quatre portes d’entrée, ce qui facilite les communications. De plus, la capitale Chang’an présente des innovations: le palais impérial est placé contre le mur nord de la ville, avec au sud les bureaux gouvernementaux. Les deux marchés ne sont plus disposés au nord du palais, mais de façon fonctionnelle, pour servir d’entrepôts aux denrées arrivant dans la ville en provenance de l’est et de l’ouest.

Le plan de Chang’an adopte un parti à peu près symétrique. La cité s’étend sur 9,721 km de l’est à l’ouest, et 8,652 km du nord au sud, avec une enceinte de 35,5 km de développement. L’axe sud-nord, large de 150 m, sépare la cité extérieure (située au sud de la cité impériale) en deux districts (est et ouest). L’ensemble est partagé par des artères en 108 quartiers (fang ), chacun enfermé dans ses propres murailles. Le plan de cette immense capitale servit de modèle à de nombreuses villes tant chinoises qu’étrangères (exemple: la capitale japonaise de Nara fondée en 710). Conçue à l’échelle du continent qu’elle gouvernait, Chang’an comptait à la fin du VIIe siècle un million d’habitants intra-muros, très inégalement réparti dans la ville, puisque certains quartiers se composaient de champs, de terrains d’exercices militaires ou de polo, de parcs d’agrément dépendant des maisons de la haute société.

À la même époque, les marchés temporaires, au croisement des voies de communication, prennent une importance croissante et finissent par former des villes permanentes, origines des nouvelles cités mercantiles qui apparaissent à l’époque Song, sans murs d’enceinte autour des quartiers. La formation de grandes cités modernes sous les Song est due à un ensemble de faits nouveaux (pression des barbares, progrès des techniques agricoles et maritimes, passage à l’économie monétaire) qui vont transformer la vie économique du pays, et par voie de conséquence modifier le visage de la ville chinoise. Densité de la population, éclatement des marchés et des quartiers suburbains, formation des corporations, développement du trafic commercial, de l’artisanat local et de l’activité de distribution, accroissement de l’industrie de la distraction lié au développement des classes populaires urbaines, tous ces caractères apparaissent à Hangzhou, capitale des Song du Sud (1127-1279).

Les Yuan, puis les Ming restaurent le système des quartiers fermés tels qu’ils existaient avant les Song. Beaucoup de villes et de villages se fortifient, dans la crainte d’un retour des envahisseurs nordiques et surtout des révoltes paysannes. Les villes chinoises prennent dès lors l’aspect qu’elles ont conservé jusqu’à nos jours: villes du Nord, carrées ou rectangulaires, aux rues se coupant à angle droit, avec au centre la tour du tambour ou de la cloche, villages de plaine entourés de murs en terre; agglomérations du Sud adossées aux montagnes ou en bordure de rivière, au plan moins strict qu’au nord, coupé de canaux et de voies d’eau. Pékin, exemple le plus manifeste des villes du Nord entourées de remparts, constitue en quelque sorte l’héritage de l’urbanisme en Chine. Édifiée à partir du plan Yuan, la physionomie de la double ville actuelle apparaît ainsi: à peu près carrée au nord (ville impériale ou intérieure des Ming et des Qing), rectangulaire au sud (ville extérieure). L’axe sud-nord qui régit Pékin part de la porte centrale du mur sud de la ville extérieure, s’étend sur 8 km jusqu’aux tours du tambour et de la cloche. Les portes de Pékin remontent, pour le style, au début de l’époque Ming. Elles ont deux tours: l’une, extérieure, en brique nue, à parois inclinées percées seulement de quatre rangées de meurtrières, est construite sur un large soubassement. La tour intérieure, plantée sur les remparts, a l’aspect d’un grand pavillon à deux ou trois toitures superposées et à galeries faisant le tour des deux étages principaux. De longues rampes permettent d’accéder à la terrasse.

L’édifice chinois

Les éléments de base sont simples: une terrasse à revêtement de brique ou de pierre supporte des colonnes de bois placées sur des soubassements de pierre. Les murs du bâtiment, simples écrans, n’ont aucune fonction de structure. Ce sont les colonnes qui portent l’édifice. Celui-ci est mesuré en entrecolonnements, l’entrecolonnement étant l’espace délimité par quatre colonnes. Les colonnes chinoises ne comportent pas de chapiteau, mais un système de consoles en bois rayonnant, en principe, dans les quatre directions, et supportant les poutres. Celles-ci peuvent être également mortaisées dans les colonnes ou les traverser de part en part. Dans la charpente chinoise, les poutres sont de longueur décroissante au fur et à mesure que s’élève le bâtiment; chaque traverse maîtresse porte une paire de faux poinçons destinés à soutenir une traverse plus courte. Les pannes qui portent les chevrons reposent sur les poinçons et l’extrémité des poutres de chaque étage. Alors que la ferme de comble occidentale se présente comme un triangle mécaniquement rigide dont la base est l’entrait, la ferme chinoise est un système beaucoup plus complexe. Par l’intermédiaire des poinçons et des entraits retroussés, l’entrait doit supporter ici tout ou partie du poids de la couverture. Cette ferme par empilage s’élève, par une série de degrés, jusqu’à ce que la hauteur désirée soit atteinte. Les arbalétriers sont souvent absents, les pannes étant supportées par des poinçons verticalement fichés dans les entraits. Un tel système permet de donner au toit une courbe soit concave, soit convexe.

Le développement considérable des toitures en Chine est dû au fait que l’entrée du bâtiment ne se trouve pas sous un pignon, mais au milieu d’un long côté, c’est-à-dire au milieu d’un des murs goutterots. Il était nécessaire d’alléger l’aspect de cette toiture, et les architectes chinois y réussirent en donnant la préférence à la toiture brisée et – cela à partir d’une certaine époque – en courbant légèrement les bords du toit qui semble alors suspendu aux quatre coins par des fils invisibles.

La ferme par empilage permet de donner aux toits des formes très variées. En outre, les conditions climatiques et les traditions régionales en Chine sont si diversifiées que les solutions en ce domaine sont multiples, depuis le toit plat jusqu’au toit à croupe, en passant par le toit rond, la pente unique, le pignon et la demi-croupe. Souvent, lorsqu’il s’agit de grands pavillons, le toit est brisé et comporte deux gradins, le gradin inférieur étant plus large. Cette disposition en double toit divise et allège les grandes masses.

Les tuiles de couverture sont alternativement concaves et convexes. Sur les bâtiments ordinaires, elles sont peu cuites et de nuance grisâtre, tandis que sur les édifices importants elles sont vernissées et colorées (jaune, bleu ou vert). Des figurines et acrotères en terre cuite, parfois vernissés comme les tuiles, sont alignés sur les arêtes des croupes.

Typiques des constructions chinoises, les toits débordants permettent un meilleur écoulement des eaux lors des fortes pluies, de même qu’ils protègent du soleil en période de grande chaleur. Mais le toit étant très lourd, il est nécessaire d’en soutenir les bords à l’aide de consoles. La console, comme unité caractéristique des encorbellements, est la combinaison de trois éléments: à la base, un bloc porteur sur lequel repose un long bras qui porte lui-même trois petits blocs également espacés pour soutenir la panne du toit. Le système atteint son plein épanouissement à l’époque Tang. Le bord du toit est alors soutenu uniquement dans l’axe des colonnes; sous les Song, il le sera également entre les colonnes. Plus tard, sous les Ming et les Qing, les consoles seront multipliées jusqu’à former une corniche ornementale continue, et ne joueront plus aucun rôle, les pannes reposant sur des poutres saillantes.

La sustentation effective du toit est obtenue non seulement par un système de consoles, mais aussi par un effet de levier. Le bras de console oblique, qui apparaît vers le IIIe siècle de notre ère, placé directement sous le toit et descendant jusqu’au bord de celui-ci en suivant le même angle que les chevrons, se termine sous la panne du bord du toit qu’il soutient à l’aide d’une console ou d’une poutrelle transversale. À partir des Ming, le bras incliné n’a plus de rôle pratique et devient, comme l’encorbellement, un simple ornement.

Les édifices impériaux

Rien ne subsiste des palais de l’antiquité chinoise, construits en matériaux périssables; seules demeurent les terrasses sur lesquelles ils s’élevaient. Des emplacements de palais furent ainsi découverts dans les capitales Shang à Zhengzhou et Anyang au Henan, et dans des villes des Royaumes combattants au Shandong et au Hebei.

Le palais impérial des Tang à Chang’an, situé au milieu de la partie nord de la ville, faisait face au sud où il touchait la cité impériale (siège des bureaux gouvernementaux). Point focal de l’Empire, il constituait la partie essentielle de la capitale. Il comprenait des salles d’audience et, à l’arrière, les appartements privés de l’empereur. Mais ces édifices, construits en terrain bas, étaient très chauds en été; aussi les souverains Tang entreprirent-ils, dès 634, la construction d’une nouvelle résidence, le Daminggong, sur un emplacement plus élevé et contigu à la muraille nord. Ce palais, situé au nord-est de la ville, et couvrant une superficie de 2 km2, devint la résidence permanente des empereurs. Son plan, ses murailles, ses principales portes et une vingtaine de bâtiments ont été repérés avec précision au cours de plusieurs campagnes de fouilles commencées en 1957.

Si les palais Song et Yuan ne nous sont connus que par l’image idéalisée qu’en ont laissée les peintres, ceux des Ming et des Qing sont préservés à Pékin. Le palais impérial actuel (Gugong), commencé en 1406, rénové au XVIe siècle, fut en grande partie reconstruit et restauré du XVIIe au XIXe siècle. Cependant la disposition d’ensemble n’a guère changé.

Cette « cité interdite » se présente comme un immense rectangle de presque 1 km de long (sud-nord) sur 760 m de large (est-ouest), ceint d’une muraille qui dépasse 7 m de hauteur et d’un large fossé. La muraille est percée de quatre portes, chacune à trois ouvertures et couronnée d’un pavillon. La partie officielle du palais comprend trois grands bâtiments d’honneur construits sur une vaste terrasse à trois gradins. L’enceinte de la cour extérieure, qui groupe ces trois bâtiments de cérémonie, est munie de galeries dont celles de la partie sud abritaient des bibliothèques et les magasins impériaux. Dans la partie privée du palais, ou cour intérieure, la chaussée axiale se continue vers le nord, ponctuée par trois grandes salles qui répondent aux trois salles officielles de la cour extérieure. De chaque côté de cette partie centrale, de nombreux pavillons sont disposés dans des cours: appartements de la famille impériale, des concubines, des eunuques. L’angle nord-ouest de la cité-palais était occupé par un vaste parc. « La multitude des bâtiments renfermés dans les limites de la cité interdite donnerait le vertige, n’étaient la régularité de leur ordonnance et l’uniformité de leur style. Ce vaste terrain est divisé en un grand nombre de cours et d’enclos entourés de murailles. Le plan de ces enclos est toujours rectangulaire et la position des bâtiments toujours symétrique » (O. Siren, Les Palais impériaux de Pékin ). La blancheur des terrasses de marbre, l’enduit rouge des édifices en bois, le jaune des toitures vernissées s’harmonisent ici admirablement aux frondaisons des cours.

Les temples impériaux

Les autels de sacrifice, où l’empereur venait officier et prier les puissances naturelles, se dressaient d’ordinaire à l’extérieur de la ville. Quand furent commencés au XVe siècle à Pékin les bâtiments du temple du Ciel, le site faisait partie de la banlieue.

L’emplacement de ces temples était déterminé par un symbolisme qui lie l’orientation, la couleur et le cycle saisonnier. Chaque ensemble se compose essentiellement des éléments suivants:

– un autel: terrasse à un ou plusieurs étages, rectangulaire ou circulaire, entourée de balustrades de marbre. Cet autel élevé au milieu d’un enclos est ceint de murs;

– un temple impérial, où l’on conserve les tablettes en dehors du temps des sacrifices;

– un palais, où l’empereur se retire avant d’officier;

– de nombreux édifices, servant de remises pour les accessoires du culte, de cuisines pour la préparation des mets.

Le temple du Ciel (Tiantan), le seul des temples impériaux de Pékin qui soit bien conservé, fut édifié en 1420, puis restauré en 1530 et en 1751. L’ensemble, entouré par une double muraille, occupe une surface de 1 700 m sur 1 600 m. L’enclos intérieur se divise en deux parties aux fonctions distinctes: au sud, l’autel circulaire; au nord, le temple proprement dit où l’empereur demande au Ciel de bonnes récoltes. Ces deux groupes sont reliés par une avenue médiane large de 30 m.

Cet admirable ensemble, auquel l’environnement des arbres ajoute une dimension de profondeur, constitue l’un des points culminants de l’architecture de Pékin. Les restaurations successives ont respecté ici, mieux peut-être qu’au palais impérial, la grandeur de la composition, l’élégance et la sobriété de la construction initiale.

L’architecture religieuse

Elle comprend à la fois les temples et pagodes bouddhiques, les temples confucéens et taoïstes. En fait, sur le plan purement architectural, il n’existe pas de différence majeure entre un temple confucéen, taoïste ou bouddhique. Le plan, que caractérisent la symétrie de part et d’autre d’un axe médian et la disposition des bâtiments autour d’une cour, est adopté quel que soit le culte qui s’attache au temple. À la plupart des sanctuaires bouddhiques étaient adjoints des bâtiments conventuels, de sorte que le plan du monastère comprend le temple (sur l’axe central) et ses annexes monastiques.

Introduit dès le Ier siècle de notre ère, le bouddhisme est resté pendant quelques siècles la religion de petites communautés isolées, et il faut attendre la seconde moitié du Ve siècle pour que se multiplient les grottes bouddhiques, et pour que temples et monastères se répandent dans les villes et les campagnes. Les temples du VIe siècle semblent ignorer encore l’axe médian et la disposition symétrique des bâtiments, données qui prévaudront à partir du VIIIe siècle. En 1937, au Wutaishan, fut découverte, avec la salle principale du Foguangsi, la plus ancienne construction, en bois d’époque Tang et de grandes dimensions, subsistant en Chine. La salle, qui date de 857, présente sept entrecolonnements sur quatre en profondeur, et un toit à croupe reposant directement sur les pannes. Les bords du toit sont soutenus par un système de consoles dont les encorbellements sur colonnes se distinguent encore par leur massivité des encorbellements intermédiaires qui sont plus simples.

S’il reste de nombreuses pagodes datant des Song, l’unique bâtiment Song qui conserve sa disposition originelle (971) est le Longxingsi à Zhengding, au Hebei. Le plan est rectangulaire, orienté sud-nord, selon un dispositif qui se maintiendra sous les Yuan. L’ensemble Yuan le plus complet demeure le Yonglegong, à Ruicheng au Sh nxi, temple taoïste (1247-1358) redécouvert depuis 1949.

Sous les Ming et les Qing, aucune forme nouvelle n’est inventée, les seules recherches tendent à la monumentalité et à l’ornementation. De conception traditionnelle, le temple de Confucius à Qufu au Shandong date dans son aspect actuel du début du XVIe siècle. Aucune innovation architecturale ne marque cette construction, qui se distingue surtout par son ampleur et la richesse de ses matériaux.

L’architecture funéraire

À l’époque Shang (XVIIe-XIe s. av. J.-C.) et Zhou (Xe-IIIe s. av. J.-C.), le principe de la fosse verticale prédomine dans la construction des sépultures. Une fosse rectangulaire est creusée, au fond de laquelle doit être placé le mort. C’est ce modèle qui, avec des variantes, apparaît à Anyang (Henan), où plus de deux mille sépultures de l’époque Shang ont été mises au jour. Certaines tombes royales y présentent deux ou même quatre passages; la plus vaste de ces tombes couvre 380 m2.

Une nouvelle forme de construction apparaît à l’époque des Royaumes combattants (Ve-IIIe s. av. J.-C.): une chambre est creusée dans une des parois latérales de la fosse verticale et le cercueil est déposé dans cette chambre. La construction de sarcophages de bois afin de préserver le cercueil du défunt et les objets qui l’accompagnent se généralise alors pour les tombes les plus importantes. Suivant leurs dimensions, ils sont divisés en chambres ou simplement compartimentés. Dès cette époque, des tumuli surmontent les grandes tombes, tandis que les petites sépultures continuent à être réunies en cimetières.

La construction d’une chambre, liée à l’emploi des briques, va remplacer complètement les fosses verticales. À l’époque Han, tous les moyens sont mis en œuvre pour protéger le mort de la destruction: caveaux enfouis dans le sol ou creusés dans le roc, tumulus et, pour en supporter la pression, le procédé de construction le plus résistant, la voûte. Le tumulus est placé au centre du champ funéraire dont l’étendue est proportionnée au rang du défunt, et dont l’orientation se conforme aux prescriptions de la géomancie. On pénètre dans le champ par le chemin des âmes, tracé selon l’axe médian de la sépulture. L’entrée de ce chemin est marquée par une paire de piliers et le chemin lui-même est bordé d’une double série de statues, de stèles et de piliers. À l’extrémité de cet axe se dresse le tumulus, pyramide tronquée précédée d’une stèle qui porte la généalogie du défunt. Dans certaines provinces (Henan, Shandong), une chambrette en dalles de pierre, servant de salle d’offrandes, s’élève près de la stèle. Sous le tumulus, un couloir souterrain conduit à une ou plusieurs chambres en pierre ou en brique. Ces chambres sont le plus souvent voûtées en encorbellement, parfois en berceau, plus rarement en arc brisé, selon un archétype qui se retrouve à cette époque de la Mandchourie au Nord Vietnam.

Ce type de tombes se perpétuera au cours des siècles suivants (tombes des dynasties méridionales, Ve-VIe s., près de Nankin). Sous les Tang et les Song, l’allée s’allonge, les statues se multiplient, annonçant les sépultures impériales Ming qui constituent l’aboutissement de ce programme funéraire dominé par l’axe médian orienté, le souci de symétrie et la chambre voûtée sous un tumulus.

À Nankin (tombeau de Hongwu, fin du XIVe s.) comme à Pékin (XVe-XVIIe s.), les sépultures impériales des Ming, situées dans un endroit retiré, au milieu d’un vaste parc enclos de murailles, sont empreintes de calme, de recueillement et de mystère. Le site de la nécropole impériale de Pékin (40 km au nord-ouest de la ville) forme un immense amphithéâtre, entouré de montagnes au nord, à l’est et à l’ouest. Le tombeau de Yongle, le Changling, terminé en 1415, en forme le centre, les douze autres sépultures étant disposées sur les pentes inférieures des collines, en éventail autour de la voie sacrée. Celle-ci fut prolongée en 1540 jusqu’à un portique en marbre blanc, formant une porte monumentale à cinq ouvertures. Ces portiques, appelés pailou , honorifiques ou commémoratifs, ne sont pas réservés aux sépultures, mais sont élevés également à l’entrée des temples ou de certains édifices publics.

Entre 1956 et 1958, le Dingling, tombeau de l’empereur Wanli (1573-1620), fut fouillé. L’ouverture de cette tombe, véritable palais souterrain, dont l’architecture répond parfaitement aux amples constructions de la cité interdite de Pékin, révéla un art impérial dont il était difficile d’imaginer la splendeur.

La maison

C’est à l’époque Han que se dessinent définitivement les caractéristiques de la maison chinoise traditionnelle. L’abondance de la documentation fournie par le mobilier funéraire et les pierres gravées des tombes de l’époque permettent de distinguer des habitations de petites et de grandes dimensions. Les plus grandes montrent une cour entourée de bâtiments sur les quatre côtés, où tout est clos sur l’extérieur, où la vie se déroule en espace fermé. Cette maison distribuée autour d’une cour restera le modèle de l’architecture domestique chinoise aux époques ultérieures. Les cours peuvent être multipliées dans le cas de familles princières, mais l’entrée principale est toujours face au sud et le bâtiment du fond reste la salle principale. Derrière cette salle, les maisons riches possèdent un jardin d’agrément qui abrite des pavillons et des pièces d’eau.

Cette maison traditionnelle se maintiendra sans grands changements jusqu’à l’époque Qing. Les maisons de cette dernière période sont encore nombreuses et varient selon les régions, les climats et les traditions locales. Les habitations du peuple sont en majorité soit rectangulaires (dans le sens nord-sud ou est-ouest, et mesurant de un à trois entrecolonnements), soit en équerre, soit troglodytes. Les classes aisées, par contre, font construire soit des maisons rectangulaires dans le sens est-ouest (avec plus de trois entrecolonnements), soit des ensembles comprenant des bâtiments autour d’une ou de plusieurs cours. La forme des toits diffère selon les régions: à double pente dans les provinces à forte pluviométrie, dans les autres régions ils ne sont qu’à une seule pente de faible inclinaison, plats ou ronds.

Derrière le portail des habitations riches s’élève un mur des génies (yingbi ), sorte d’écran destiné à interdire l’accès de la demeure aux mauvais esprits qui ne peuvent, dit-on, se déplacer qu’en ligne droite. Ces murs, communs aux maisons, aux palais et aux temples, sont généralement enrichis de bas-reliefs en terre cuite, vernissée et polychrome lorsqu’il s’agit d’un édifice important.

8. Jardins

Les composantes

Si la maison chinoise est bâtie selon des règles assez conventionnelles, telles la clarté, la symétrie et la ligne droite, le jardin, son extension naturelle, est au contraire caractérisé par l’irrégularité, l’asymétrie, la ligne courbe, le mystère, l’originalité et l’imitation de la nature. Le jardin chinois, œuvre d’imagination, conçu par et pour l’individu, garde un contact plus intime avec la nature sauvage que le jardin occidental, et tend à recréer une promenade dans un plus vaste paysage. Cette randonnée toute de liberté et de fantaisie commande la composition du jardin chinois constitué d’espaces plus ou moins isolés, découverts et appréciés graduellement: ce jardin ne peut en effet jamais offrir d’ensemble à partir d’un point donné. Le promeneur est donc conduit au long des sentiers à travers une composition qui, conservant le charme du mystère, ne se révèle jamais complètement. Itinéraire spirituel, le jardin est encore en Chine une retraite conçue pour le loisir, l’amitié, la méditation et ces plaisirs raffinés qu’apportent le vin, la récitation des poèmes, l’appréciation d’un objet d’art.

Il existe une grande variété de jardins, due aux différences de climat, de végétation et de site; ainsi un jardin de Suzhou au Jiangsu ne peut-il ressembler à un jardin de Pékin, même si tous deux ont été dessinés suivant les mêmes principes. De plus, les jardins citadins se distinguent des jardins campagnards. Les jardins des villes ont occupé en Chine une superficie beaucoup plus grande et connu un développement beaucoup plus important qu’en Occident. Ces jardins, enclos de murs, formaient une extension de la demeure: on y trouvait des pavillons, des bibliothèques, de petites salles réservées à la dégustation du thé, à la musique ou à l’étude.

Les jardins, comme la peinture de paysage, peuvent être définis par l’expression shanshui , « montagnes et eaux », en y ajoutant les arbres, les fleurs et les éléments architecturaux. Montagnes, bâtiments et plantations donnent le modelé, les jeux d’ombre et de lumière, tandis que les sentiers et les rivières, par leur jeu ondulant de lignes souples, apportent à la composition rythme, mouvement et variété. Ces différents éléments, montagnes et rivières, grottes et lacs, pavillons et ponts – expression de l’univers entier –, font du jardin un microcosme d’où sont bannis tous les principes de symétrie et d’ordre, tout ce qui pourrait donner une impression de raideur.

Source de vie du jardin, miroir où vibrent les images, l’eau offre en outre dans cet espace clos une ouverture sur l’infini qu’amplifient la sinuosité des ruisseaux et la courbe des lacs dessinées de telle sorte que l’on ne puisse en voir la fin. Les montagnes constituent l’élément le plus original et le plus spécifiquement chinois de ces jardins. Les rocailles sont ici l’expression d’une très ancienne tradition culturelle et d’un intérêt profond pour le monde minéral. L’évocation d’une montagne tout entière par un simple rocher semble avoir atteint sa perfection sous les Tang. La recherche de pierres aux formes étranges devint à partir de l’époque Song une passion de collectionneur. Souvent associées à un pin ou à un bambou, ces pierres se détachent en général sur un mur blanchi à la chaux et se trouvent de la sorte mises en valeur. L’arrangement ne doit jamais être symétrique, mais doit au contraire donner l’impression du naturel. La variété et l’imagination atteignent dans ces compositions un sommet à la fin des Ming; les artistes parviennent alors à donner à leurs montagnes artificielles une impondérabilité telle que les pierres semblent émerger du vide. Contrairement aux montagnes, les fleurs ne constituent pas l’élément essentiel d’un jardin chinois. Prisées pour leurs qualités décoratives, elles le sont aussi et surtout pour les symboles qu’elles expriment, telle la longévité (pêcher, vin, bambou), et les images qu’elles évoquent: chrysanthème automnal, pivoines de l’été.

On dit en Chine « construire » et non « planter » un jardin; c’est exprimer clairement l’union étroite du jardin avec son architecture, l’importance des murs percés de portes et de fenêtres décoratives, l’importance aussi des pavillons, des ponts et des galeries. Le paysage s’ordonne à partir de ces éléments multiples qui l’entourent et le morcèlent. Les galeries ouvertes invitent à la promenade ou au repos. Liaisons entre les bâtiments et les différentes parties du jardin, elles soulignent les plans d’eau, les escarpements de terrain; au long de leurs courbes, à partir des vues qu’elles offrent, la composition acquiert son unité et son pittoresque.

Élément pour ainsi dire organique du jardin, le mur se trouve intimement lié au paysage: il s’incurve pour épouser le terrain, donnant ainsi une impression d’élasticité et de modelé plus que de rigidité. Des ouvertures, sortes de fenêtres ornementales aux formes les plus fantastiques, interrompent sa blancheur, révélant une vue qui a toujours le charme de l’inattendu et de la surprise. L’esprit chinois fait ses délices de cette part d’imprévisible et d’accidentel.

Jardins privés et parcs impériaux

L’époque Ming peut être considérée comme l’âge d’or des jardins privés; Pékin au nord, Yangzhou, Nankin, Suzhou et Hangzhou au sud sont les centres les plus créateurs. Si les ensembles subsistant aujourd’hui ne peuvent donner qu’une idée incomplète de l’ancien art des jardins, certains conservent toutefois quelque chose de l’atmosphère et de l’imagination créatrice qui les a vus naître. Tels les jardins de Suzhou, cité qui garde jusqu’à la fin du XIXe siècle la physionomie d’une ville de lettrés et d’artistes.

Les empereurs chinois avaient en général deux résidences, l’une officielle dans la capitale, et l’autre de plaisance dans les montagnes boisées, au bord des lacs voisins de la capitale. Dans ces parcs d’agrément où étaient rassemblés les arbres et les fleurs les plus rares de la Chine, la fantaisie se donnait libre cours.

Malheureusement, les parcs et résidences d’été antérieurs aux Ming ont disparu. Les ensembles impériaux des Ming et des Qing (lacs à l’ouest du palais impérial à Pékin, vestiges de Yuanmingyuan construit au XVIIIe s.) ne sont que très partiellement conservés. L’actuel Yiheyuan, séjour d’été de l’impératrice Cixi édifié à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ne peut se comparer aux anciens palais d’été. La beauté de son lac ne parvient pas à faire oublier la raideur, le mauvais goût et la surcharge décorative des palais et des galeries conçus en un temps où l’art impérial était en pleine décadence.

Le jardin chinois, qui a donné naissance aux jardins japonais, eut des prolongements, bien que de façon plus superficielle, dans les jardins pittoresques de l’Europe au XVIIIe siècle. Directement et consciemment inspirés de motifs chinois, les jardins anglais créés entre 1720 et 1730 ne retinrent cependant de leurs modèles que l’aspect le plus extérieur sans en comprendre l’esprit. Cet esprit, il faut le dire, apparaît si intimement lié aux conceptions chinoises qu’il ne pouvait qu’échapper à une première approche. Par réaction contre la rigidité de la hiérarchie, des rites et des règles où tout est convention, imitation et tradition, le lettré chinois en effet aime à être déconcerté; le jardin lui offre cette évasion loin du formalisme et de la régularité. Liberté organisée par un homme pour son propre délassement, le jardin représente, de plus, l’insertion idéale dans le microcosme urbain; c’est un territoire personnel constitué par un morceau de nature recréée et idéalisée. Comme tous les lieux de retraite – tombe, maison, ermitage ou monastère –, ce jardin est un havre de calme. Il est aussi, comme toutes les manifestations architecturales chinoises, marqué du sceau de l’éphémère. Création fragile, le jardin, conçu pour épouser le transitoire, est animé par là même d’une dynamique latente qui est l’une de ses qualités essentielles.

9. Mobilier

Évolution du mobilier en bois dur

L’ébénisterie chinoise se distingue par la qualité des bois employés, la solidité et l’équilibre des volumes, les lois rigoureuses de l’assemblage, la sobriété ou même l’absence de décor, toutes caractéristiques qui valent pour la catégorie la plus remarquable, celle du mobilier en bois dur des demeures austères de l’aristocratie et des classes aisées; jamais exportée, cette catégorie est la moins connue en Occident. Il en va tout autrement des meubles laqués ou incrustés, utilisés dans les temples, les palais, les lieux publics; dès le XVIIe siècle, ils ont fait l’objet d’un commerce intense qui fournit à l’Europe des modèles qu’elle imita ou qu’elle adapta au mobilier occidental. Cependant, les meubles en laque rouge sculpté dit « de Pékin », dont le caractère somptueux répondait au goût de la Cour au XVIIIe siècle, n’étant pas destinés à l’exportation, ne sont apparus en Europe qu’au XIXe siècle. Ces dernières catégories ressortissent à l’art du laque plus qu’à celui du mobilier.

Le mobilier en bois dur remonte à la plus haute antiquité, comme en témoignent des vestiges archéologiques de l’époque Shang. Les plus anciens meubles qui nous soient parvenus datent du VIIIe siècle: ce sont des tables, des tabourets, des fauteuils, des porte-vêtements conservés au Sh 拏s 拏in, à Nara (Japon). Dès lors, le mode de vie avait changé: à la large plate-forme où l’on se tenait accroupi ou étendu, entouré de tables basses, de petits bancs, d’appuie-bras, se sont substitués la chaise, le fauteuil, la table haute, les Chinois ayant peu à peu adopté la position assise à l’occidentale, sous l’influence d’apports étrangers introduits avec le bouddhisme. La plate-forme donna d’autre part naissance au grand lit de repos, souvent pourvu d’un baldaquin ou d’un dossier et d’accoudoirs, massifs ou ajourés en treillis. Bientôt apparaissent des armoires, des coffres, des bahuts dont la structure architecturale offre de larges surfaces de bois plein où les veinures sont soigneusement mises en valeur. Les armoires, dont les vantaux s’appuient en général sur un meneau, sont parfois formées de deux coffres superposés et peuvent comporter des tiroirs intérieurs. Outre de grasses moulures d’encadrement, leur ornementation se limite au rythme des montures en laiton qui marquent de leur éclat les charnières et les serrures. Ce sont des plaques martelées, circulaires ou rectangulaires, unies ou striées, parfois discrètement découpées en volutes, avec des poignées mobiles pour les fermetures.

Après une lente élaboration, le mobilier atteint sa plus haute perfection sous les Ming, peut-être dès le XVe siècle. Sa qualité réside en grande partie, pour les meubles clos comme pour les sièges et les tables, dans le choix de bois denses et lourds, souvent odorants, aptes à prendre un lustre satiné, presque métallique. La plupart étaient importés de l’Asie du Sud-Est: citan , palissandre tropical violacé, finement veiné, huali ambré, aux veines très marquées, hongmu rougeâtre, employé surtout au XVIIIe siècle. La beauté des meubles est faite aussi du volume net et cubique dans lequel ils s’inscrivent, de leur conception fonctionnelle avouée, où les consoles de support et les entretoises soulignent franchement la structure. Les pieds des tables sont en général recourbés vers l’intérieur; les dossiers des sièges portent un montant central plat, incurvé pour épouser la forme du dos, souvent surmonté d’un léger renflement pour la nuque. Le couronnement et les bras des fauteuils, souvent sinueux, établissent un jeu savant de droites et de courbes.

Un art d’assemblage

La technique est toujours demeurée rigoureusement traditionnelle. La science des assemblages en est l’élément dominant: emploi exclusif de mortaises avec des tenons visibles, souvent doubles, parfois nombreux et de petite taille, absence totale de clou, même en bois, de colle, de placage, de colorant pour le polissage. L’ébénisterie chinoise exclut aussi le tournage: chaque pièce courbe, chaque panneau ajouré est véritablement sculpté au couteau, découpé en plein bois. Les angles sont amortis, les reliefs modulés; les ornements, taillés dans la masse, sont incorporés à l’ensemble. La constance de ces règles et la lenteur de l’évolution des formes rendent impossibles les datations précises, de sorte que peu d’auteurs s’y sont risqués, à moins d’avoir affaire à une ornementation en relief ou à certains ajourages qui caractérisent les œuvres des XVIIIe et XIXe siècles.

10. Sculpture

Apparue à l’époque Shang (XVIIe-XIe s. av. J.-C.) sous le signe prépondérant de l’animal, la sculpture chinoise liée à l’art funéraire a connu son premier épanouissement aux environs de notre ère. Son âge d’or se situe entre le IVe et le Xe siècle de l’ère chrétienne, en un temps où son champ élargi s’épanouit sous l’égide du bouddhisme. Au-delà du XIIIe siècle commence une lente décadence due au relâchement du sentiment religieux, à la sclérose des formes et des symboles d’un art qui fut toujours, en Chine, l’œuvre d’artisans soumis à la commande.

Notre connaissance de la sculpture chinoise reste cependant incomplète; la période ancienne apparaît toujours plus riche au fur et à mesure des découvertes archéologiques; la période bouddhique (IVe-XIIIe s.) est surtout connue à travers les grands ensembles rupestres, alors que les centres provinciaux demeurent peu explorés et souvent mal définis. L’étude de l’époque tardive (XIVe-XIXe s.), enfin, permettrait l’analyse des causes et des manifestations de la décadence, comme la découverte de créations populaires régionales encore méconnues.

La sculpture funéraire

Les guerriers découverts à partir de 1974, à proximité du tumulus de Qin Shi huangdi, permettent d’envisager l’existence d’une tradition de la sculpture monumentale. Mais, cuites et peintes après avoir été façonnées en terre, ces pièces relèvent encore du domaine de la céramique. Si nous nous limitons à la sculpture en pierre ou en bronze, les époques Zhou et Qin ne nous ont encore rien livré. Dans l’attente de nouvelles découvertes, on ne peut que faire remonter la tradition de la sculpture funéraire en Chine à l’époque des Han antérieurs (206 av. J.-C. - 9 apr. J.-C.), avec, comme témoin, une statue exécutée vers 117 avant J.-C. et faisant partie d’un ensemble placé devant la tombe du général Huo Qubing. Haute de 1,40 m, elle figure un cheval debout terrassant un homme; le cheval est massif, la pierre est laissée pleine entre le ventre et les pattes; l’homme est couché sur le dos, la nuque rejetée en arrière, la tête énorme remplit tout l’espace libre entre les pattes. La tension qu’exprime cette statue taillée dans le granit de même que sa date autorisent à la situer aux débuts d’un art. Deux siècles plus tard, lorsque se sera largement répandue la coutume de placer des statues de pierre devant les tombes, les tailleurs, préférant le grès facile à l’outil, donneront à leurs animaux une musculature plus nette et une plus grande liberté. Les deux lions qui gardaient le cimetière de la famille Wu au Shandong (147 apr. J.-C.) apparaissent ainsi comme des animaux à demi fantastiques, vigoureux, au corps souple et long, au cou arqué, aux flancs soulignés de sortes d’ailes. À côté de cette ronde-bosse, l’art funéraire Han nous a légué des bas-reliefs (piliers du Sichuan, par exemple) admirablement adaptés aux surfaces à décorer. Animaux symboliques, atlantes, chasseurs illustrent ici par la vigueur et la souplesse de leur modelé l’art figuratif d’une province qui fut peut-être le centre le plus vivant, le plus libre de la sculpture Han.

Au Henan et au Shandong s’élevait à l’extrémité de l’allée funéraire une chambrette en dalles de pierre destinée aux offrandes. Ces dalles, ciselées de scènes mythologiques ou quotidiennes, illustrent la vie officielle et privée des nobles de l’époque. Les scènes évoquées – processions de chars, fêtes, séances de musique, chasses, combats – alternent avec des images idéalisés d’anciens sages, de fils pieux, et avec des êtres surnaturels, des plantes et animaux imaginaires qui donnent à la scène un ton fantastique. Sur les reliefs du Wuliang ci au Shandong (147-168 de notre ère), les scènes se développent en registres superposés. L’accent est mis sur la ligne et le mouvement; les silhouettes se découpent comme des ombres sur le fond strié de la pierre. Dans ce monde qui ignore la troisième dimension, la localisation n’est indiquée que lorsqu’elle est indispensable, et encore de façon rudimentaire. Les briques estampées de la province du Sichuan (Ier-IIe s. de notre ère) expriment une tentative de construction dans l’espace par la perspective cavalière. Ici, les scènes se déroulent souvent dans des paysages: ouvriers travaillant aux mines de sel dans un site montagneux, chasseurs, scènes de marché ou de moisson rendues avec infiniment de naturel, de verve et de maîtrise.

Cet art de la gravure sur pierre témoigne d’une technique de la ligne extrêmement raffinée, héritière d’une longue tradition de décors et d’inscriptions sur bronze. Il évoque, de la manière un peu conventionnelle propre aux artistes provinciaux, ce que devait être l’art plus libre, plus réaliste des artistes, qui, à la Cour, ornaient de fresques les murs des palais.

La grande sculpture funéraire Han, caractéristique par sa tendance à schématiser, à fixer rudement le trait saillant d’une attitude, se perpétue avec les animaux cambrés qui ornaient les allées funéraires des empereurs de Nankin (époque des Six Dynasties). Cet art atteint la plénitude de son développement dans les ensembles funéraires Tang (618-907), et en particulier dans les six grands hauts-reliefs qui s’élevaient devant la tombe de Taizong (627-649) et représentaient les destriers de cet empereur. Les chevaux, à la carrure puissante, à l’encolure ramassée, sont évoqués avec un réalisme et une vitalité que n’auront plus les animaux placés dans les allées menant aux tombeaux impériaux des dynasties suivantes. Les animaux, trop célèbres, des tombeaux des Ming au nord de Pékin ne représentent que la version stéréotypée d’une tradition sculpturale tombée en décadence.

L’âge d’or de la statuaire chinoise s’achève avec les Song. Dès lors, la sculpture se survit, remplacée par d’autres moyens d’expression mieux adaptés aux recherches intellectuelles et au goût décoratif vers lesquels s’oriente désormais l’art chinois.

Les statuettes en terre cuite que l’on plaçait dans les tombes forment un domaine de la sculpture funéraire chinoise appartenant plutôt à l’art de la céramique.

La sculpture bouddhique

C’est au milieu du IIe siècle de notre ère que le bouddhisme du Grand Véhicule commença à progresser en Chine, introduit par les caravanes qui suivaient la route de la soie. Cette origine explique l’influence, nette sur les premières représentations du Bouddha en Chine, de l’art gréco-bouddhique du Gandh ra dont le rayonnement s’étendait, au nord de l’Inde, du Pendjab à la Sogdiane. Cette influence est manifeste sur le plus ancien spécimen de sculpture bouddhique chinoise, un bouddha en bronze doré daté de 338. Assis en méditation, les jambes croisées sur un socle, il porte sur le sommet de la tête le chignon rond propre au Bouddha. Son vêtement monastique présente des plis ronds, réguliers et symétriques de style gandharien. Au IVe siècle également apparaît à Dunhuang (Gansu) le premier centre artistique du bouddhisme chinois. Cependant, il faudra attendre le siècle suivant pour que triomphe la religion nouvelle et pour que l’artisan chinois se libère de ses modèles.

Utilisant principalement la pierre et le bronze, moins fréquemment la terre modelée et séchée ou le bois, la sculpture bouddhique va dominer durant trois siècles l’ensemble des créations artistiques. Originaires de l’Inde, les motifs, les symboles, les gestes rituels et les attributs bouddhiques se modifient peu à peu après leur introduction en Chine. La sculpture chinoise représente le Bouddha debout, ou assis sur un trône de lotus, ou encore gardé par deux lions. Lorsqu’il est figuré debout, il lève une main, la paume en avant (geste d’absence de crainte, ou abhaya mudr ), alors que l’autre main reste baissée, la paume vers l’extérieur (varada mudr , geste de charité). Assis, ces gestes rituels sont plus variés: les mains peuvent être jointes en méditation (dhy na mudr ), ou bien une main étant levée, l’index touche le pouce, position évoquant l’argumentation (vitarka mudr ). Les deux mains devant la poitrine, l’une tournée en avant, l’autre vers le corps, les doigts faisant semblant de tourner une petite roue, illustrent la roue de la loi (dharma-cakra mudr ). Enfin, bhumisparça mudr est le geste par lequel le Bouddha touche la terre pour la prendre à témoin de sa résistance à la tentation de M ra.

Les Bodhisattva, êtres miséricordieux qui renoncent au nirv na pour aider les hommes à atteindre la délivrance, sont encore plus fréquents que le Bouddha dans l’iconographie chinoise. Ils sont figurés revêtus de la parure des princes, la tête ornée d’un diadème. Peu à peu ils se transformeront en une divinité féminine, appelée Guanyin qui, à partir de l’époque Song, sera représentée assise sur un rocher au milieu des flots, prête à secourir ceux qui franchissent l’océan des transformations. C’est elle aussi qui sera figurée munie de bras nombreux et de neuf à onze têtes.

Évolution de la sculpture bouddhique

Importance des thèmes étrangers sous les Wei

À l’époque des Six Dynasties, l’évolution se manifeste dans le drapé, la plastique et l’expression des visages.

La première période, celle des Wei septentrionaux, voit l’éclosion d’une stylisation chinoise à partir des modèles indiens (style du Gandh ra et de Mathur ). Ce style des Wei du Nord s’élabore dans les grottes de Yungang, au Sh nxi, creusées dans le grès tendre, à partir de 460. Dans les premières grottes du style Wei (XVI-XX et VII-X), entre 460 et 470, se manifeste encore l’éclectisme d’un art à ses débuts, et le grand bouddha de la grotte XIX, avec son écharpe aux plis arrondis, rappelle les bouddha colossaux de B miy n (Afghanistan). Celui de la grotte XX évoque le type mathurien (plis épais du manteau laissant l’épaule nue). L’empreinte chinoise apparaît ici dans l’auréole décorée de flammes ciselées et de bouddha en demi-relief. L’alliance de l’esthétique chinoise et des thèmes étrangers se manifeste dans le décor des niches en tympan brisé (transposition des arcatures gandhariennes), dans les motifs décoratifs où les rinceaux d’acanthe venus d’Occident voisinent avec les rideaux que retiennent des perlages et les toitures purement chinoises.

Les personnages de Yungang sont assez maigres et aplatis; la face est rectangulaire, un peu plate, le nez pointu, la bouche se relève aux commissures en un sourire archaïque encore assez impersonnel. Vers 480 (grotte VI, par exemple), le vêtement se sinise suivant une mode venue vraisemblablement de la Cour méridionale de Nankin. L’imitation du drapé gréco-bouddhique, schématisé sous la forme d’un plissé aux extrémités se terminant en pointes, aboutit au style anguleux qui va dominer l’art de Longmen au Henan. Les sanctuaires de Longmen sont fondés en 494 et les niches du Guyangdong, où prévaut ce style aigu, creusées de 508 à 515. Les visages s’amenuisent, les corps s’allongent et s’aplatissent sous l’amoncellement des plis tubulaires du manteau. Ce canon allongé, au modelé aigu, aboutit dans la sculpture en bronze doré, vers 518-520, à un style flamboyant, symétrique par rapport à un axe médian, où, dans le fin plissé relevé en ailes, triomphent un rythme élastique, un graphisme purement chinois. Les auréoles décorées de divinités volantes rappellent par leur dessin les bronzes incrustés et les peintures sur laque de l’époque Han. Cette importance accordée aux éléments chinois semble due non seulement à une renaissance des valeurs chinoises dans la culture des Wei du Nord, mais aussi à l’influence d’idées artistiques venues de la cour des Qi méridionaux. La pure spiritualité domine à Longmen sur ces visages émaciés, posés sur un long cou: elle correspond à une conception plus sévère de la religion où la pensée mystique se dépouille.

À la fin des Wei du Nord sont commencées également les sculptures de Gongxian, continuées après 534 et jusque sous les Sui. À cette époque encore sont sculptées en grand nombre des stèles ornées tantôt de grands personnages, tantôt de niches contenant des bouddha et encadrées de bas-reliefs à figures ou à ornements.

L’activité décroît à Longmen à partir de 536 et pendant tout le VIe siècle. À partir de 534, une réaction se fait jour contre le style anguleux qui avantageait les lignes verticales et ne laissait aucune place au corps humain. À Yungang comme à Longmen, en effet, le corps était sacrifié au drapé et plus encore à l’expression du visage. La composition était celle d’une pyramide que couronnait la tête. Des recherches nouvelles apparaissent, qui révèlent un souci d’assouplissement, une tendance au modelé et au traitement par grandes masses. Ces recherches dominent la période 534-550, qui s’avère être une époque de transition annonçant celle, si riche, des Bei Qi (550-577).

La plénitude Bei Qi

La seconde moitié du VIe siècle voit en effet s’ouvrir une ère de renouvellement dans la statuaire. Cet art nouveau s’épanouit dans les grottes de Tianlongshan au Sh nxi où, à partir de 560-570, les Bei Qi font creuser une vingtaine de grottes importantes. Le nouvel idéal s’affirme dans une recherche de la simplicité et d’une tridimensionalité. Dans le domaine du vêtement, le style se caractérise par l’importance du châle et le développement du drapé étalé sur le socle pour les statues assises. Les plis simples, aux lignes horizontales, s’adoucissent en courbes. La matière même du vêtement, son poids et sa souplesse sont rendus. Le drapé suit les lignes du buste et n’est traité pour lui-même que sur le socle où semblent se concentrer les effets du bouillonné. Les bijoux, parures de chaînettes relevées au moyen d’une large boucle à la taille, prennent une grande importance. Les nouveaux éléments stylistiques sont pour la plupart indiens, le type du Bouddha doit son modelé, son équilibre et ses drapés à demi transparents au modèle Gupta. La route d’Asie centrale coupée dès le milieu du VIe siècle, les influences durent pénétrer par la voie maritime et atteindre la Chine du Nord à travers les centres du Sud. On peut penser que les cultures intermédiaires du Fou-nan (Cambodge), du Champa (Vietnam) et des royaumes indonésiens transmirent les formes indiennes en Chine de la même façon que les royaumes de Corée allaient transmettre les modèles chinois au Japon. Ces caractéristiques – modelé, déhanchement originaire de l’Inde Gupta comme le drapé « mouillé » – annoncent les formules qui seront adoptées sous les Sui et les Tang. Enfin, dans les grottes X et XVI de Tianlongshan, les statues, tout en restant frontales, se détachent du mur, tendance qui aboutira à la conquête du volume et du mouvement sous les Tang. Ainsi, à la tension verticale des Wei succède la plénitude Bei Qi. Les vêtements souples mettent en valeur les contours des corps; dès 540, les visages se sont arrondis, adoucis; moins spirituels peut-être, ils deviennent plus humains. Le tracé des lèvres, du nez ou des paupières marque une recherche d’individualité.

Avec la dynastie des Sui, la production bouddhique s’accroît encore, les statuettes en bronze doré destinées aux autels privés se multiplient. Le souci de la plastique s’affirme dans la statuaire, et l’ampleur des vêtements aux larges plis verticaux accentue la noblesse de ces divinités au maintien de colonnes.

Le réalisme Tang

Sous les Tang, la période de 627 à 712 est celle de la production la plus intense et du niveau artistique le plus élevé, avant que ne vienne le déclin à partir du milieu du VIIIe siècle.

Les souverains continuent à enrichir dans un style monumental les grottes de Longmen, dont le bouddha colossal est achevé en 676. La douceur des visages Wei fait place ici à une majesté calme, à une condescendance quasi impériale dans le regard. Le socle, en partie recouvert par les longues courbes du manteau, prend une importance nouvelle. Les recherches de la seconde moitié du VIe siècle trouvent alors, dans une exécution nerveuse et souple, leur épanouissement, et se manifestent particulièrement dans l’esthétique des bodhisattva. Une haute coiffure, qui prête au personnage un aspect féminin, remplace le diadème traditionnel. Le torse est nu, paré de la chaînette en joaillerie et d’une étroite écharpe passant sur les épaules. De la taille très mince et infléchie, le vêtement tombe en un drapé mouillé sur les jambes. La tête assez grosse et le cou très court donnent une impression de puissance que l’on retrouve sur les Dv rap la, les deux gardiens placés à l’entrée des sanctuaires et destinés à protéger des influences néfastes. Leur face grimaçante, leurs muscles saillants de lutteurs, leurs attitudes véhémentes illustrent l’intérêt porté à l’étude du corps humain, le sens du réalisme propre à l’époque Tang.

La technique de la terre modelée et séchée connaît alors son apogée. Cette forme de statuaire, caractéristique des grottes du Gansu: Dunhuang et Maiqishan, s’était développée dans ces sanctuaires à partir du Ve siècle et suivait, avec des différences locales, l’évolution générale de la sculpture sur pierre. À partir de la fin des Tang, cette technique (illustrée à Dunhuang jusqu’à l’époque Qing et à Maiqishan jusque sous les Ming) sombre, comme toute la sculpture chinoise, dans une lente décadence. Les artisans continuent à copier les canons Tang, mais l’inspiration religieuse s’épuise et le style s’alourdit. À l’époque Song cependant, certaines guanyin en bois peint conservent encore une grâce souple et un visage recueilli sous la haute coiffure très élaborée.

11. Calligraphie et peinture

L’écriture utilisée à des fins purement plastiques

La création calligraphique et picturale occupe en Chine une place privilégiée; elle constitue non pas un métier spécialisé, mais une discipline spirituelle pratiquée par l’élite intellectuelle et sociale des lettrés. Ceux-ci trouvent dans cette double activité le moyen d’expression et d’accomplissement d’une expérience intérieure dont le but ultime est le perfectionnement du moi et la réalisation d’une communion avec l’univers par la mise en harmonie de l’activité créatrice de l’artiste avec le principe créateur du cosmos.

Mais peinture et calligraphie n’ont pas acquis d’emblée ce caractère exceptionnel et ce n’est qu’au terme d’une longue évolution historique qu’elles participeront d’une commune esthétique. Les plus anciennes traditions chinoises prêtent à l’écriture un pouvoir magique: l’écriture est une prise de possession de l’univers dont elle sonde et perce les secrets. Bien que ce caractère sacré se soit progressivement effacé dans les consciences, une appréciation complète du phénomène calligraphique devra cependant en tenir compte.

La calligraphie au sens étroit du mot – c’est-à-dire l’écriture envisagée moins comme le moyen de transmettre une information que comme une création plastique exprimant la sensibilité individuelle du calligraphe – a pris son essor vers la fin de l’époque Han. À partir de ce moment, elle devient une discipline spécifique, avec son histoire et ses maîtres, ses théoriciens, ses critiques et ses collectionneurs. Parmi tous les arts, la calligraphie occupe une position privilégiée avec laquelle seule peut rivaliser la peinture – qui, depuis la fin des Tang, lui est devenue étroitement tributaire.

Technique et support

La calligraphie est tracée à l’encre, sur soie ou sur papier, au moyen d’un pinceau. Le pinceau est une création typique du génie chinois, alliant la simplicité de structure à une souplesse illimitée d’applications; mais le corollaire de sa prodigieuse sensibilité est l’extrême difficulté de son contrôle; pour être manié proprement, il requiert du calligraphe une intense concentration à la fois physique et spirituelle qui ne se conquiert qu’au terme de longues années d’exercice ininterrompu. L’encre, loin d’être d’une consistance stable ou d’une inerte monochromie, recèle d’inépuisables ressources; onctueuse ou fluide selon qu’on l’additionne de plus ou moins d’eau, elle présente toute une gamme de valeurs: suivant qu’on l’emploie avec largesse, au pinceau saturé et en touches grasses, ou parcimonieusement, en laissant le pinceau à demi sec pour faire transparaître l’ossature du trait, elle permet d’obtenir les effets les plus divers. Le support – papier ou soie – est choisi pour sa qualité absorbante; il se comporte un peu à la manière d’un buvard: au lieu de subir passivement l’attaque du pinceau et l’imprégnation de l’encre, il s’en empare aussitôt de manière active et indélébile. Ainsi, le calligraphe travaille véritablement avec des instruments vivants, dotés chacun d’une sensibilité subtile et mouvante; en même temps, ces intermédiaires matériels sont réduits au strict minimum et amenuisent ainsi la distance qui sépare la vision intérieure de son incarnation dans les formes: pour le calligraphe, il s’agit en effet de se projeter de la manière la plus totale et la plus immédiate possible dans son œuvre, qui doit constituer « une empreinte de son cœur ».

Rythme et composition

Une pièce de calligraphie est formée d’une succession de caractères d’écriture; chaque caractère constitue une unité plastique, combinant un assemblage plus ou moins complexe de traits qui s’inscrivent invariablement dans un carré imaginaire. Pour meubler harmonieusement chacun de ces carrés, l’agencement des traits pose pour chaque caractère un nouveau problème plastique qui doit recevoir sa solution individuelle: il s’agit essentiellement d’obtenir un équilibre dynamique par un jeu d’asymétries complémentaires, d’établir un système de tensions intérieures et d’atteindre la stabilité à travers une combinaison de forces en mouvement. Une fois assurée la composition du caractère isolé, il faut ensuite unifier la succession rythmique de toutes ces solutions individuelles, puis organiser la succession des rangées pour que l’ensemble de l’œuvre forme une totalité organique.

Tandis que la peinture (du moins le rouleau vertical) se présente au spectateur comme une organisation globale et simultanée de l’espace, la calligraphie se double d’une dimension temporelle: elle prend possession de son espace en suivant une succession d’étapes. En effet, le spectateur peut, d’une part, embrasser de façon instantanée la totalité de l’œuvre achevée et, d’autre part, quand il procède à sa lecture, le mouvement par lequel le calligraphe a progressivement conquis l’espace de la page blanche se reconstitue sous son regard. Cette lecture peut être d’ailleurs simplement plastique. L’appréciation d’une calligraphie est pratiquement indépendante de la compréhension de son contenu écrit; les cursives les plus audacieuses déforment souvent la graphie des caractères au point de les rendre méconnaissables à première vue et cela ne gêne nullement la contemplation de l’esthète.

Interprétation et création

Le caractère d’écriture s’impose au calligraphe comme un donné objectif dont il ne peut modifier la structure théorique; non seulement le nombre et la forme des traits qui composent chaque caractère sont définitivement fixés, mais encore l’ordre successif dans lequel ces traits doivent être tracés et les divers mouvements du pinceau auxquels leurs formes correspondent sont rigoureusement prédéterminés. Aussi, en un sens, le calligraphe n’invente-t-il pas de formes, il les interprète. Pour prendre une comparaison musicale, il n’est pas compositeur mais exécutant. N’oublions pas cependant que toute interprétation est elle-même une création à un niveau second – et le propre de l’esthétique chinoise est précisément d’attacher un prix particulier à cette forme de création-là, la plus subtile peut-être. Alors que la peinture édifie un système de formes conventionnelles à partir de la réalité objective, le point de départ de la création calligraphique est déjà formel. Forme d’une forme, cet art quintessencié échappe cependant à la stérilité de l’abstraction gratuite: ce que l’esthète recherche avant tout dans une calligraphie, c’est, sous les divers mouvements du pinceau, le rythme d’un cœur qui communie au rythme de la création universelle et qui, par la vertu de cette participation, réussit à insuffler à chaque caractère cette énergie unique qui anime l’infinité des créatures.

Rayonnement de l’art calligraphique

Le système des examens mandarinaux ayant lié l’accès du pouvoir politique à la qualité de lettré, naissance et fortune durent toujours céder le pas devant le mérite qui s’attachait à la maîtrise de la chose écrite. Cela explique le prestige unique dont la calligraphie ne cessa de jouir à travers les siècles: sans être un calligraphe au moins passable, nul n’aurait pu faire figure d’honnête homme. Il en résulte que cet art, qui constitue l’une des expressions les plus hautes du génie chinois, fut aussi le plus universellement pratiqué et apprécié.

La calligraphie a exercé une emprise profonde sur les diverses expressions artistiques de la culture chinoise, mais c’est dans la peinture que son influence est la plus évidente: c’est ainsi que le lavis d’encre monochrome des peintres-lettrés, empruntant à la calligraphie ses instruments, sa technique et son esthétique, cherche à écrire le signe des choses plutôt qu’il n’en décrit les apparences.

La calligraphie rayonne sur toutes les manifestations de la vie chinoise, elle est partout présente: des stèles antiques aux affiches et panneaux de la rue commerçante, des autographes célèbres qui ornent le cabinet de l’esthète aux couplets de Nouvel An qui décorent le porche des plus humbles demeures paysannes; plus encore peut-être qu’une jouissance esthétique, c’est une présence tutélaire: elle semble rappeler en permanence que c’est avec le verbe écrit que commença l’humanisation du monde – un très ancien récit mythologique ne nous rapporte-t-il pas que, lorsque Cang Jie eut inventé l’écriture, démons et dieux pleurèrent dans la nuit leur empire perdu?

Écriture et calligraphie

Au sens strict, la calligraphie se distingue de l’écriture, en ceci qu’elle se sert de l’écriture indépendamment de ses fonctions normales de communication et d’information, et fait d’elle le support d’une création formelle, susceptible, par ses seuls rythmes plastiques, d’exprimer la sensibilité individuelle de son auteur. Néanmoins, bien avant l’apparition des démarches calligraphiques au sens étroit du mot, l’écriture chinoise présentait déjà d’évidentes qualités esthétiques, au point que les inscriptions archaïques, qui ne relevaient pourtant que d’impératifs fonctionnels, sont considérées par les calligraphes non seulement comme la source, mais aussi comme les modèles les plus accomplis de leur art. Aussi une histoire de la calligraphie chinoise se confond-elle dans une large mesure avec une histoire de l’écriture, et plutôt que d’établir une frontière stricte entre écriture et calligraphie, il serait plus exact de décrire le passage de l’une à l’autre comme la transition d’une démarche calligraphique de fait à sa pratique consciente et délibérée.

Naissance de l’écriture chinoise

Les témoignages les plus anciens que nous connaissions de l’écriture chinoise sont constitués par les inscriptions divinatoires (jia gu wen ) gravées sur os il y a quelque trente-trois siècles par les devins de la dynastie Shang. Malgré l’apparence encore relativement primitive de leur graphie, ces caractères révèlent déjà une haute capacité d’abstraction et de systématisation; aussi, plutôt qu’un point de départ, doivent-ils représenter le premier aboutissement d’une très longue période d’élaboration dont, sauf quelques allusions mythologiques, nous ignorons encore tout. Par la suite, ces caractères se sont multipliés, et leur forme graphique s’est profondément modifiée (au point qu’aujourd’hui leur identification et leur déchiffrement font l’objet d’une étude spécialisée), mais dès ces premiers témoins, la nature idéographique et les principes constitutifs de l’écriture chinoise apparaissent déjà définitivement fixés.

La seconde grande étape stylistique de l’écriture chinoise est illustrée par les inscriptions des bronzes rituels de la dynastie Zhou et de l’époque des Royaumes combattants. Ce type de graphie (da zhuan ) connut de nombreuses variantes dans l’espace et le temps. Au début du IIIe siècle avant J.-C., la dynastie Qin, dans le cadre de sa politique de centralisation et d’unification impériale, entreprit d’uniformiser l’écriture et imposa une graphie nouvelle (xiao zhuan ), qui se présente essentiellement comme une codification méthodique des expériences antérieures.

La dynastie Han, reprenant dans une large mesure l’héritage politique des Qin, poussa à la centralisation administrative; les besoins croissants de la bureaucratie impériale favorisèrent l’adoption et le développement d’un autre style d’écriture, né sous les Qin, le « style des chancelleries » (li shu ), plus commode à manier et, surtout, mieux adapté aux ressources du pinceau. Dans une évolution qui, des inscriptions divinatoires à l’écriture moderne, ne présente fondamentalement aucune solution de continuité, le « style des chancelleries » marque le tournant décisif. Des expériences variées que les lettrés-fonctionnaires pratiquèrent à partir de ce style, dans une perspective qui n’était plus seulement fonctionnelle mais déjà esthétique, naquirent les trois formes d’écriture qui devaient rester en usage jusqu’à nos jours: le style régulier (kai shu , appelé aussi zheng shu ), le style semi-cursif (xing shu ) et le style cursif (cao shu ). Dès les environs du IVe siècle de notre ère, la graphie des caractères chinois s’est trouvée fondamentalement fixée et ne devait plus subir aucune modification notable jusqu’à la réforme de l’écriture entreprise en Chine populaire en 1956.

Une discipline spécifique

La calligraphie au sens étroit du mot, c’est-à-dire l’utilisation consciente et délibérée de l’écriture à des fins purement plastiques, affranchies des contraintes fonctionnelles (communication, lisibilité), a pris son essor vers la fin de l’époque Han. À partir de ce moment, elle devient une discipline spécifique, avec son histoire et ses maîtres, ses théoriciens, ses critiques et ses collectionneurs. Son développement fut encore favorisé par ce phénomène politico-social qui a caractérisé toute l’histoire de la Chine impériale: le gouvernement des lettrés. La Chine fut alors dirigée par des légions d’humanistes, fonctionnaires dont on peut véritablement dire qu’ils passaient leur vie entière le pinceau à la main. D’où ce prestige unique dont la calligraphie ne cessa de jouir à travers les siècles, et qu’elle conserve aujourd’hui encocore (Mao Zedong lui-même ne dédaignait pas de faire étalage d’un talent de calligraphe qui, à défaut de formation profonde, ne révélait pas moins un brillant individualisme). Toute l’élite politique, intellectuelle et sociale de Chine – empereurs, hommes d’État, poètes, philosophes, moines – s’est donc adonnée sans relâche à cet art. Même si, pour beaucoup, il ne s’agissait là que d’une convention élégante, à toutes les périodes de l’histoire il se trouva aussi de grands créateurs pour qui la calligraphie constituait une haute et exclusive passion. Parmi eux, mentionnons quelques noms particulièrement marquants: à l’époque des Six Dynasties, Wang Xizhi (321-379) et son fils Wang Xianzhi (344-388) créent une calligraphie dont la grâce inspirée sera révérée par la postérité comme un modèle d’une perfection quasi surnaturelle. Sous les Tang, le style robuste et austère de Ouyang Xun (557-641), Yan Zhenqing (708-784) et Liu Gongquan (778-865) reflète bien la puissance majestueuse et la discipline d’un grand âge classique; chez Chu Suiliang (596-658), la force intérieure et l’équilibre revêtent une plus grande recherche d’élégance, tandis que Sun Guoting et le moine Huaisu (725-785) s’abandonnent, hors des sentiers battus, aux ivresses d’une cursive qui tend à s’affranchir de toute convention graphique – et, ce faisant, devient d’ailleurs source de conventions nouvelles! Chez les calligraphes Song – Su Dongpo (1036-1101), Mi Fu (1051-1107), Huang Tingjian (1045-1105) – l’élan lyrique et la fantaisie généreuse du tempérament s’appuient sur un art consommé dont l’aisance semble rejoindre la spontanéité de la nature. Avec l’empereur Huizong (1101-1126), l’art commence toutefois à prendre le pas sur le naturel, et aboutit à un curieux maniérisme, plus pictural que calligraphique.

À l’époque Yuan, certains lettrés, traumatisés par la défaite et l’occupation mongole, cherchent à renouer avec les sources antiques; d’autres, comme Zhao Mengfu (1254-1322), cultivent en virtuoses un éclectisme qui frise parfois la facilité. Ce courant éclectique reste prépondérant sous les Ming, avec Wen Zhengming (1470-1559) et Dong Qichang (1555-1636). Durant la dynastie Qing, sous l’influence de la renaissance des études classiques et de l’engouement pour la philologie, l’épigraphie et l’archéologie, de nombreux calligraphes – tel Deng Shiru (1743-1805) – remettent en vogue les styles archaïques; d’autre part, quelques individualistes – qui souvent sont également peintres, tel Zheng Banqiao (1693-1765) – rejettent toutes les règles établies pour se créer un style personnel d’une originalité agressive et savoureuse. Enfin, à l’époque contemporaine, plusieurs maîtres – parmi lesquels Yu Youren, mort en 1966, fut un des plus éminents – témoignent de la vitalité d’une tradition restée capable de métamorphoses neuves.

La peinture

Un métier artisanal jusqu’à la fin des Han

Quelques allusions des Classiques permettent de supposer que la Chine a possédé une peinture dès la plus haute antiquité. À partir de l’époque Han, les allusions littéraires plus fréquentes se doublent de quelques rares fragments d’œuvres (briques peintes en provenance de sépultures) et d’un nombre assez considérable de témoignages indirects empruntés aux autres arts plastiques (miroirs de bronze, pierres gravées, briques estampées). Tout ce que nous savons de la peinture depuis les origines de la civilisation chinoise jusqu’à la fin des Han se borne donc finalement à peu de chose: cette première peinture chinoise remplissait des fonctions magiques, religieuses, didactiques, historiographiques et décoratives; elle était exécutée par des artisans spécialisés, dont la condition sociale se confondait avec le commun des corps de métiers; son esthétique était avant tout commandée par un souci d’imitation et de ressemblance; ses sujets principaux étaient constitués par les figures (humains, animaux), tandis que le paysage se trouvait encore réduit au rôle subalterne d’un décor assez schématique et embryonnaire. Sous les Six Dynasties, tandis que la calligraphie arrivait à un premier et brillant épanouissement en devenant l’occupation favorite d’une élite raffinée, la peinture reste pour l’essentiel un métier artisanal. Mais, dès cette époque, il faut remarquer qu’à côté des artisans certains hommes de qualité commencent eux aussi à pratiquer la peinture. Simultanément, dans les traités théoriques de peinture rédigés à ce moment s’affirme une exigence neuve: l’artiste doit exprimer la nature intérieure du sujet peint, et non seulement son apparence formelle. Les catalogues anciens ont conservé les noms d’un certain nombre d’artistes de cette période, mais leurs œuvres ont disparu; il nous reste cependant une copie ancienne d’une peinture de Gu Kaizhi (seconde moitié du IVe siècle), à partir de laquelle nous pouvons nous faire une certaine idée de l’art de cette époque: la figure humaine constitue encore le sujet principal de la peinture, le paysage reste réduit aux dimensions d’un décor symbolique, l’exécution purement linéaire n’a pas encore intégré ces modulations de pinceau dont la calligraphie, à cette même période, avait déjà découvert les ressources.

Fresque et paysage au lavis sous les Tang

La dynastie Tang, époque puissante, luxueuse et raffinée, a dû connaître un remarquable épanouissement de la peinture, d’abondants témoignages littéraires en font foi. Mais les œuvres qui subsistent encore aujourd’hui sont rarissimes, douteuses et contradictoires, de sorte que l’étude de la peinture Tang représente dans une large mesure une discussion dans le vide. La plus robuste expression de la peinture Tang est incontestablement fournie par le courant traditionnel des fresquistes, qui couvrent les murs des palais et des temples de grandes figures dessinées avec une souveraine autorité. Dans ce domaine, le meilleur témoignage – plus significatif que les fresques de Dunhuang qui reflètent un art provincial – est offert par les fresques de la tombe de la princesse Yongtai (tombe découverte au Sh face="EU Caron" オnxi en 1961). Mais, du plus célèbre fresquiste de l’époque Tang, Wu Daozi (VIIIe s.), plus aucune œuvre ne subsiste aujourd’hui. Si la fresque est ainsi le plus beau fleuron de la peinture Tang, le point culminant qu’elle atteint à cette époque est également dans une certaine mesure un point final; on continuera certes à peindre à la fresque, mais sans y accorder la même importance. En fait, à la même époque, le phénomène le plus significatif pour l’avenir de la peinture est la naissance d’un art nouveau qui sera appelé à devenir la voie presque exclusive de la peinture chinoise: il s’agit du paysage au lavis d’encre monochrome, dont l’invention est attribuée au poète Wang Wei (699-759). Il nous est difficile de juger objectivement des réalisations picturales de Wang Wei (aucun original ne subsiste), mais, à partir de certaines copies et de divers commentaires critiques, nous pouvons supposer qu’il s’agissait d’une forme de peinture encore assez raide et rudimentaire. Quoi qu’il en soit, ses principes mêmes impliquaient plusieurs innovations décisives: en ce qui concerne le sujet, le paysage – lieu par excellence de cette communion de l’homme avec l’univers qui deviendra l’objet essentiel de la création artistique – se substitue aux figures. Les procédés techniques hérités des fresquistes – brosse dure, couleurs (la peinture chinoise archaïque usait de couleurs rutilantes, comme l’atteste son ancienne appellation de danqing « art des rouges et des verts ») – sont abandonnés au profit des instruments du calligraphe: pinceau doux, encre; du même coup, la peinture va pouvoir s’annexer le prodigieux registre plastique qu’avait déjà exploré la calligraphie: la peinture s’apparentera désormais à la chose écrite, et acquiert ainsi une dignité nouvelle; ayant cessé d’être un métier artisanal asservi à des fonctions narratives ou décoratives, elle devient l’apanage de l’élite et constitue une création spirituelle au même titre que la poésie (n’oublions pas que Wang Wei était un des plus grands poètes de son temps): peinture et poésie seront les deux faces d’une même réalité intérieure, les deux moyens complémentaires à la disposition du lettré pour traduire, d’un même pinceau, les élans profonds de son cœur.

L’âge d’or du paysage: Xe-XIIe siècle

Cet art nouveau, qui avait germé à l’époque Tang, connaît son premier épanouissement au Xe siècle (Cinq Dynasties et début des Song du Nord). Le grand paysage chinois s’affirme alors dans toute sa plénitude, avec une majesté, un équilibre et une profondeur spirituelle qui resteront inégalables. Alors que les artistes Tang se limitaient encore pour la plupart à des procédés purement linéaires, toutes les ressources du pinceau spnt désormais mises à contribution, le vocabulaire de formes (« rides », « points ») et les conventions plastiques qui serviront de base à toute la peinture se trouvent fondamentalement définis. Forme et technique ne font cependant pas l’objet d’une recherche gratuite: elles sont tout entières mises au service d’une vision mystique de la nature, et leur perfection est précisément de passer inaperçues. Cette peinture réalise un point d’équilibre rare entre la maîtrise des moyens plastiques –dont l’aisance ne dégénère jamais en virtuosité – et la qualité spirituelle de l’inspiration du peintre, qui cherche à embrasser la totalité de l’univers dans sa permanence sereine et objective. L’homme apparaît à peine dans ces vastes paysages: il est enfoui, infime, au cœur de leur immensité, mais sans que celle-ci l’écrase: il s’y trouve plutôt en harmonie, comme porté par un océan nourricier; il n’est pas le témoin lyrique du spectacle de la nature, mais seulement l’un de ses humbles éléments, participant de cette entité organique, au même titre que les pierres ou les bambous. Ces peintures austères et impassibles sont pourtant chargées d’une émouvante force de vie, car leurs auteurs ont l’expérience la plus intime et la plus attentive de la nature; ils connaissent la rugosité de chaque rocher, de chaque écorce, ils se sont mesurés avec les cimes, ils ont sondé l’impondérable montée des brumes au fond des vallées. Le peintre n’entend cependant pas faire œuvre « réaliste » – pour rendre sensibles les aspects les plus concrets du monde naturel, il se sert au contraire d’un répertoire de formes et de symboles plastiques étonnamment abstrait –, il ne s’agit pas pour lui d’enregistrer un document singulier, un moment ou un fragment d’une réalité donnée, mais de créer un univers complet dont la réalité soit parallèle à celle du monde extérieur, comme le microcosme l’est au macrocosme.

Les pionniers de cette peinture furent Jing Hao (première moitié du Xe siècle) et son disciple Guan Tong, Dong Yuan (actif vers 930) et son disciple Juran. Dans la seconde moitié du Xe siècle, Li Cheng et Fan Kuan (ce dernier était encore actif dans les premières années du XIe siècle) portent cet art à son apogée.

Sous les Song du Nord, au XIe siècle, plusieurs grands peintres, dont les plus illustres sont Xu Daoning et Guo Xi, restent fidèles à la vaste vision de leurs prédécesseurs, mais manifestent déjà une certaine tendance à rompre le classique équilibre entre la forme et le contenu, en faveur d’une certaine emphase plastique qui, chez Guo Xi en particulier, aboutit à un véritable baroquisme: les formes sont emportées dans un mouvement tourbillonnant d’une grande puissance, mais qui nous éloigne de l’intériorité plus austère du Xe siècle. Cette tendance à la recherche plastique poursuivie pour elle-même va progressivement ramener la peinture dans la voie d’un certain professionnalisme. À la fin du XIe siècle et au début du XIIe, un paysagiste comme Li Tang illustre cette évolution de manière caractéristique. Sa technique est d’une grande virtuosité, mais sa vision du paysage tend à se rétrécir aux dimensions d’une saisie impressionniste d’un aspect momentané et singulier de la nature. En ceci il prépare directement la voie aux paysagistes brillants, mais peut-être plus superficiels, des Song du Sud.

Mais, tandis qu’un courant de la peinture commence ainsi à s’attacher aux habiletés de métier, apparaît dans la seconde moitié du XIe siècle, avec Mi Fu (1051-1107), un art insolite et spontané dont l’individualisme constituera un des aspects de la peinture des lettrés. Le lettré dédaigne la science technique du professionnel; il aborde la peinture avec une audace désinvolte, se fiant aux seules ressources de sa formation calligraphique. Que lui importe le reste? Son ambition en effet n’est pas de décrire l’apparence des choses, mais d’en écrire les signes. La peinture devenant une écriture spirituelle, sa qualité sera avant tout fonction de la qualité intellectuelle et morale du peintre. Dans le groupe des lettrés, notons cependant que, chez un peintre comme Wen Tong, spécialiste des bambous et ami de Su Dongpo (Su Shi), l’intensité mystique de l’inspiration s’appuie sur une austère discipline des formes, dont la puissance reste toute classique.

L’Académie

Une autre tendance s’affirme simultanément. Sa vogue sera d’autant plus large que, durant le premier quart du XIIe siècle, elle sera directement soutenue et illustrée par l’empereur Huizong – lui-même peintre de talent. Huizong avait rassemblé dans son académie un certain nombre de professionnels habiles dont le registre, mineur peut-être, est d’un charme raffiné, mais exempt de mièvrerie. Le courant de l’Académie, sans pouvoir prétendre à la profondeur, n’en correspond pas moins à l’une des grandes constantes du génie chinois: une contemplation attentive et émerveillée du réel sous tous ses aspects, même les plus humbles et les plus ténus – animaux, fleurs, oiseaux, insectes –, rendus avec un réalisme minutieux (et cependant ferme), sans que pour autant poésie et humour soient absents de ces œuvres, où la sûreté du métier est toujours admirable. Dans la même ligne, mentionnons au passage Li Di dont la longue carrière couvre presque tout le XIIe siècle; il pratique une peinture anecdotique où le paysage ne sert plus que de toile de fond à de charmantes scènes de genre qui rassemblent toutes les séductions et aussi toutes les limites de cet académisme chinois.

Le paysage lyrique: XIIe et XIIIe siècles

Sous les Song du Sud, à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, deux grandes personnalités dominent l’art du paysage: Ma Yuan et Xia Gui. Ces artistes partent de la conception du paysage à la fois plus étroite et plus impressionniste qu’avait amorcée un Li Tang; dans l’emploi des « rides fendues à la hache » et des nappes de lavis enlevées à l’emporte-pièce, ils affirment une éblouissante virtuosité technique. Dans le domaine de la composition et du cadrage, ils s’adonnent à d’audacieuses recherches d’asymétrie, jouant sur l’antagonisme des pleins et des vides. Par opposition au grand paysage des Xe et XIe siècles, leur peinture se veut elliptique et fragmentaire: l’artiste isole un élément significatif qu’il met puissamment en valeur par le contraste d’une large zone de vide. Alors que le paysage classique s’efforçait de saisir la nature dans sa permanence majestueuse, cette peinture-ci vise à l’instantané tant dans le sujet que dans l’exécution, et, contrairement à l’impassibilité sereine qui prévalait deux siècles plus tôt, elle se montre lyrique et subjective; l’homme n’est plus cet infime élément perdu dans le grand Tout: il occupe souvent l’avant-scène (poète contemplant la lune, lettré en promenade, ermite dans sa barque); spectateur et témoin de la nature, le personnage mis ainsi en évidence catalyse une émotion fugace qui devient, elle, le véritable sujet de la peinture. Cet art impeccable et brillant est limité par sa virtuosité même; il repose sur des artifices de composition d’une efficacité infaillible, mais dont le caractère par trop inéluctable peut lasser. C’est du reste ce que l’esthétique des lettrés, telle qu’elle se définira à partir de l’époque Yuan, lui reprochera le plus sévèrement. En tout cas, cette peinture a exercé une influence considérable non seulement sur les peintres professionnels de l’époque Ming, mais également au Japon (toute la peinture de Sessh est une paraphrase de Xia Gui, et on retrouve plus tard jusque chez Hiroshige ce sens de l’ellipse puissante et du cadrage asymétrique qui caractérisait le paysage des Song du Sud). Participant d’une vision commune, Ma Yuan et Xia Gui n’en manifestent pas moins des tempéraments fortement individualisés: Ma, plus mélancolique et méditatif, Xia, plus emporté et dramatique.

Peintres adeptes du Chan

Enfin, pour le XIIIe siècle, il nous faut encore mentionner un phénomène particulier, d’une grande valeur spirituelle et esthétique, mais dont l’influence sur l’évolution ultérieure de la peinture chinoise resta malgré tout limitée: il s’agit de la peinture inspirée par le bouddhisme Chan (plus connu en Occident sous son nom japonais de Zen). Cette école de pensée, qui doit en fait plus à la mystique taoïste qu’à l’orthodoxie bouddhique, estime que la vérité ne saurait être approchée par des voies purement intellectuelles (étude des textes sacrés), mais au contraire qu’elle ne peut être pleinement possédée que par une intuition totale, instantanée et immédiate de toute l’être, l’« illumination ». Celle-ci s’atteint au terme d’une ascèse physique et spirituelle, où la méditation prend pour support la contemplation du réel concret, fût-il le plus humble et le plus insignifiant; elle saisit dans cette réalité fragmentaire, isolée dans sa pure et irréductible singularité objective, l’absolu du réel, et cela en un éclair dont l’instantanéité même rejoint l’intemporel. Plusieurs adeptes du Chan ont pratiqué la peinture – citons surtout Muqi et Liang Kai – car la peinture peut s’accomplir à l’image de l’illumination Chan: leurs œuvres elliptiques, enlevées d’un fulgurant coup de pinceau, sont le fruit d’une exécution instantanée, l’artiste opérant dans une sorte de transe ou d’extase, où l’intuition de la main devance tout contrôle rationnel. Il ne s’agit pas cependant d’une « écriture automatique » au sens occidental du terme, car, loin de valoriser les forces de l’inconscient, cette libre explosion de la création artistique ne s’obtient qu’au terme d’un apprentissage long, austère et ingrat (parallèle à l’ascèse monastique) de l’encre et du pinceau et repose précisément sur une intense discipline de toutes les énergies de la conscience; aussi, les créations picturales du Chan, d’une éblouissante audace plastique et d’une déconcertante simplicité de moyens, sont-elles toujours sous-tendues par une extraordinaire concentration spirituelle qui assure leur densité et leur profondeur. Dans cet art, nous voyons conciliées en une synthèse unique les diverses valeurs et sollicitations entre lesquelles la peinture chinoise s’est constamment trouvée partagée: peinture instantanée , mais où l’instant devient une intuition de la permanence ; peinture elliptique , mais où le fragment détaché nous renvoie à la totalité du réel dont il est le substitut; virtuosité technique, mais mise tout entière au service d’une vision spirituelle ; attachement à la réalité sensible et concrète , mais transcription de celle-ci dans une écriture abstraite . L’équilibre si rare réalisé par la peinture Chan, qui parvient à marier des vertus aussi contradictoires, nous incite parfois à voir en elle une des expressions les plus hautes et les plus complètes de la peinture chinoise. Remarquons cependant qu’en Chine elle ne s’est jamais vraiment intégrée dans le grand courant d’évolution historique. Elle est restée un phénomène relativement marginal, et n’a guère exercé d’influence, sinon sur quelques individualistes Min et Qing; elle comporte en effet quelque chose de trop « voyant », une sorte de véhémence et d’exhibitionnisme trop agressifs pour le goût des connaisseurs chinois. En revanche, elle a connu une fortune considérable au Japon – mais là, malheureusement, l’engouement pour ce type de peinture n’a abouti le plus souvent qu’à des manifestations spectaculaires d’une formule vidée de toute substance intérieure.

La peinture comme évasion spirituelle

L’époque Yuan, bien que relativement brève, est d’une importance considérable pour la peinture, qui connaît alors un tournant décisif. En rupture complète avec la peinture des Song du Sud, une esthétique nouvelle s’élabore, et son influence sera déterminante sur les époques Ming et Qing.

L’occupation mongole voue à l’inactivité d’une retraite volontaire toute une partie de l’élite lettrée, pour qui la peinture devient la plus noble évasion spirituelle. Vivant en marge du siècle, les artistes rompent avec leurs prédécesseurs immédiats et, par réaction contre leur époque, renouent avec les sources antiques: la peinture des Tang et des Cinq Dynasties. Mais parallèlement à cet archaïsme délibéré, ils jettent aussi les bases d’un art neuf; dorénavant, la peinture de l’homme de qualité s’insurge contre les artifices « vulgaires » des professionnels; elle répugne à toute exhibition de virtuosité: l’honnête homme, préférant l’obscurité aux suffrages du commun, évite de se faire remarquer, de manière à n’être reconnu que de ses pairs. Cette peinture se veut d’une discrétion altière; par opposition à la perfection immanquable du paysage des Song du Sud, elle cultive délibérément une sorte d’irrésolution détachée, d’élégante nonchalance, de caprice inspiré, laissant subtilement place à l’accidentel. Les esthètes estiment que la saveur suprême réside dans une apparente « insipidité » (dan ), et que la force véritable est celle, tout intérieure, qui parvient à s’exprimer par des moyens volontairement pauvres, apparemment ternes et nus. La catégorie critique suprême devient celle de yi , « fantaisie détachée », « nonchalance désinvolte »; peindre est beaucoup plus que peindre: par-delà le prétexte des formes et des apparences, la peinture est avant tout une « écriture du cœur ».

Parmi les plus importants artistes de cette période si riche en personnalités originales, mentionnons d’abord, du côté des archaïsants, Qian Xuan (1235-1300) et Zhao Mengfu (1254-1322). Gao Kegong (1248-1310) donne tour à tour dans un archaïsme monumental et un tachisme fluide, dérivé de Mi Fu. Parmi les novateurs, Wu Zhen (1280-1354) est le type même du peintre-lettré; son style, d’une candeur abrupte, exercera une influence considérable sur la postérité. Huang Gongwang (1269-1354) est souverain dans le paysage; la qualité structurelle de ses compositions présente une « modernité » qui, pour le critique occidental, suscite spontanément la comparaison avec les expériences de Cézanne. Ni Zan (1301-1374) fournit peut-être l’illustration la plus exemplaire de l’idéal esthétique esquissé plus haut; il se limite à un type de composition presque invariable: paysages nus et austères, désertés de toute présence humaine, où le pinceau, avare de son encre, laisse de grandes plages de vide entre l’avant-plan et la désolation limpide d’un horizon exhaussé. Derrière son dépouillement et sa froideur apparente, ce génie altier et solitaire, assoiffé de pureté, découvre à qui sait l’approcher avec recueillement et silence une des sensibilités les plus profondes et les plus frémissantes de toute l’histoire de la peinture chinoise. Les peintres lettrés Ming et Qing lui ont voué un véritable culte; ils l’ont étudié et copié sans relâche, bien que la simplicité de ses formes et de ses compositions recèle une densité spirituelle dont le secret échappe à l’analyse et à l’imitation. Wang Meng (?-1385) est plus curieux d’une recherche proprement formelle; sa peinture, touffue et baroque, est tissée d’une forme de « rides » originale, dont la ponctuation dynamique et nerveuse sera, elle aussi, une source d’inspiration pour la postérité.

L’étude des Anciens

Les époques Ming et Qing furent très riches dans le domaine pictural – jamais les peintres n’ont été plus nombreux, ni les théories critiques et esthétiques plus développées – et paradoxalement elles sont pourtant restées les moins connues et les moins comprises en Occident. Cela non seulement parce que le tempérament multiforme des artistes et la complexité des écoles permettent moins aisément de dégager les lignes de force de l’évolution picturale, mais surtout parce que les critères auxquels l’Occidental a instinctivement tendance à se référer s’avèrent ici particulièrement inadéquats. Pour apprécier véritablement les mérites de la peinture Ming et Qing, il nous faut plus que jamais nous mettre à l’école du critique chinois. L’Occidental en effet considère que l’originalité (c’est-à-dire la capacité d’inventer des formes neuves, d’augmenter le répertoire de signes plastiques dont dispose la peinture) constitue en soi une qualité – voire la qualité par excellence – et que l’absence de cette « originalité » est un indice d’impuissance et de sclérose académique. Devant la peinture Ming et Qing, dont le courant majeur est celui de la copie et de l’étude des Anciens, il aura le sentiment qu’il s’agit d’une époque sèche et creuse. En fait, pour le peintre chinois, l’originalité n’est pas en soi une qualité, ni le manque d’originalité un défaut; l’objet du peintre en effet n’est pas d’inventer des formes neuves, mais de saisir et transmettre l’influx du souffle cosmique; du moment que ce but suprême est atteint, il importe peu que le prétexte formel soit original ou emprunté. La valeur d’une œuvre réside donc non pas dans des formes ou des schémas de composition, lesquels peuvent sans inconvénient n’être que des stéréotypes, mais bien dans cette animation intérieure du souffle – manifestée par les valeurs d’encre et le graphisme du pinceau – dont il est beaucoup plus difficile pour le non-initié de reconnaître l’accomplissement.

Au début de l’époque Ming (XVe siècle) se manifeste encore un courant de peinture professionnelle, illustré surtout par Dai Jin – qui s’inspire souvent des paysages des Song du Sud – et par Wu Wei (1459-1508). Ce courant sera fort combattu par la critique lettrée dont l’autorité deviendra bientôt souveraine. La peinture professionnelle ne se relèvera pas de ces attaques et finira par perdre toute influence. Aujourd’hui, cependant, nous redécouvrons ces artistes, et nous sommes assez sensibles à leur verve robuste et franche ainsi qu’à leurs audaces plastiques. Celles-ci, n’étant pas sous-tendues par une inspiration spirituelle, restent entachées, aux yeux du lettré, d’une irrémédiable « vulgarité »; mais ce jugement peut paraître aujourd’hui d’une sévérité excessive.

Le courant de la peinture des lettrés est tout entier dominé par la puissante personnalité de Shen Zhou (1427-1509); artiste prodigieusement divers et fécond, nourri d’une vaste culture, à la fois littéraire et esthétique, il a puisé son inspiration surtout chez les « quatre grands maîtres Yuan » (Wu Zhen, Huang Gongwang, Ni Zan et Wang Meng). Son registre est d’une déconcertante variété; ses grandes compositions sont des constructions intellectuelles élaborées non plus à partir de la nature, mais à partir des œuvres de ses devanciers, subtilement réinterprétées; dans ses feuillets d’album, par contre, il exprime avec une objectivité candide une vision d’une franchise ferme et savoureuse. Il eut de nombreux disciples: Wen Zhengming (1470-1559) est sans conteste le plus illustre.

Orthodoxes et individualistes

À la fin de l’époque Ming, un autre grand lettré, Dong Qichang (1555-1636), a exercé, par son œuvre et ses théories esthétiques et critiques, une domination incontestée sur la peinture des lettrés: toute l’orthodoxie picturale de l’époque Qing s’est fondée sur ses principes d’académisme éclectique. Dong Qichang cependant, loin d’être le pontife pédant que l’on imagine trop souvent, révèle, dans certains aspects de son œuvre diverse et complexe, une sensibilité aiguë et libre. En marge de l’orthodoxie s’affirme dès l’époque Ming (avec la personnalité violente d’un Xu Wei, 1529-1593, par exemple) un courant individualiste dont les plus remarquables représentants seront, au début de l’époque Qing (seconde moitié du XVIIe siècle) quelques grands solitaires: Bada Shanren (1625-1705), personnalité excentrique, atteint la perfection dans ses petits formats (fleurs, insectes, oiseaux, rochers, poissons) dont l’insolite simplicité repose sur une extraordinaire science de la composition, remarquable surtout par son usage dynamique des vides; Shitao (1641-apr. 1717) est un créateur protéiforme, chez qui le philosophe et le mystique sont à la mesure du peintre; Kuncan, dans sa réclusion monastique, embrasse une vision puissante et tumultueuse de l’univers; Hongren et Gong Xian, sans disposer d’un registre aussi ample que les précédents, affirment chacun un tempérament d’une fascinante originalité. Il ne faudrait cependant pas forcer l’antithèse entre les orthodoxes et les individualistes, comme certains critiques sont parfois trop tentés de le faire: les orthodoxes ont souvent témoigné dans leurs œuvres de moindre importance d’une audace et d’une liberté comparables à celles des individualistes, et ceux-ci, bien qu’insistant plus particulièrement sur le caractère autonome et égocentrique de la création picturale, ne le cèdent en rien aux orthodoxes sur le chapitre de la culture et de la connaissance des Anciens.

Le goût de l’indépendance cultivé par les individualistes finira par culminer au XVIIIe siècle dans la flamboyante extravagance des « Huit excentriques de Yangzhou » – dont Zheng Banqiao (ou Zheng Xie, 1693-1765), Li Shan, Jin Nong (1687-1764) – qui sont encore de très grands peintres, bien que n’ayant pas la profondeur de leurs devanciers.

D’autre part, au début de l’époque Qing, le courant orthodoxe a été illustré par les « quatre Wang »: Wang Shimin (1592-1680), Wang Jian (1598-1677), Wang Hui (1632-1717), Wang Yuanqi (1642-1715). L’œuvre de ce dernier est particulièrement attachante: son art, très cérébral, peut paraître aride à l’observateur superficiel, mais il recèle en fait une trame complexe d’allusions plastiques, admirablement unifiée par l’intelligence hardie de la composition. Yun Shouping (1633-1690) et Wu Li (1632-1718) montrent par bien des aspects de leur œuvre que la frontière tracée entre orthodoxes et individualistes est souvent arbitraire.

Aux abords des temps modernes

Le XIXe siècle reste une époque encore trop méconnue; il abonde pourtant en personnalités intéressantes, et le plaisir de l’amateur se double ici de la joie de la découverte. Certaines réputations sont cependant déjà bien établies, ainsi celles de Xugu (1824-1896), peintre de fleurs et d’animaux, et de Ren Bonian (1840-1896), peintre de personnages au talent insolite et truculent, qui aime à créer des effets de contraste en combinant de larges morceaux enlevés à l’emporte-pièce avec des détails d’une exécution minutieuse.

La première moitié du XXe siècle est une période passionnante de la peinture chinoise, mais il serait malaisé d’en établir le bilan en quelques lignes, tant les courants et les maîtres sont nombreux et divers: Huang Binhong (1863-1955), génie intègre et puissant, fut sans doute le plus grand paysagiste chinois moderne; Pu Xinyu (1887-1964) a illustré avec une noble élégance la permanence des valeurs académiques; Zhang Daqian (1899-1983) est un éclectique que l’abondance de ses dons a quelque peu gâté; Qi Baishi (1863-1957) n’a exploré que son petit jardin, mais il en est le roi superbe et candide; sa triomphale originalité ne doit cependant pas nous faire oublier son grand devancier Wu Changshi (1844-1927) dont l’œuvre n’a pas autant de fraîcheur poétique, mais possède plus de densité et de profondeur. Fu Baoshi (1904-1965) est parfois inégal, mais ses réussites compteront parmi les œuvres les plus importantes du demi-siècle; de tous les peintres traditionnels, c’est lui peut-être qui fut le plus moderne et le plus révolutionnaire, ayant réussi à intégrer harmonieusement dans la peinture chinoise une conception nouvelle de l’espace. Xu Beihong, souvent désigné sous le nom francisé de Jupéon (1895-1953), fut le plus célèbre de ces pionniers qui, dans les premières années de la République, se rendirent en Europe pour s’initier à la peinture à l’huile; sur le plan artistique, son œuvre assez faible survivra difficilement, mais il lui restera le mérite historique d’avoir été l’un des premiers à aborder de plein front l’étude de la peinture occidentale et le problème de son adaptation à l’art chinois. Depuis, des expériences plus significatives se sont développées dans ce sens, mais le problème est encore loin d’être résolu, et l’on peut supposer qu’il occupera (avec son corollaire, l’exploration de la tradition picturale chinoise par l’Occident) une bonne part des énergies créatrices de la seconde moitié du siècle.

12. Estampes et gravures

L’estampe chinoise souffre d’une certaine méconnaissance, due à cette désinvolture que les Chinois ont toujours témoignée pour les expressions matérielles de leur culture, en particulier pour les œuvres artisanales. Seule une faible part des estampes anciennes a pu échapper à l’oubli et à la destruction. La plupart des pièces existant encore sont regroupées dans les grandes bibliothèques de Chine (l’estampe chinoise est assez mal représentée dans les collections occidentales); malgré un regain d’intérêt qui se manifeste aujourd’hui, grâce à l’impulsion d’intellectuels révolutionnaires (Luxun, Zheng Zhenduo), ces œuvres n’ont pas encore pu faire l’objet de reproductions suffisamment nombreuses et appropriées.

Estampe et livre

Les estampes chinoises (à l’exception des « images de Nouvel An ») sont fondamentalement liées au livre. L’imprimerie est une invention chinoise très ancienne; certains échantillons d’ouvrages imprimés par planches xylographiques datent de l’époque Tang, mais la qualité de leur exécution fait supposer que cette technique avait déjà une longue histoire. La plus ancienne estampe est une gravure bouddhique datée de 868 qui fait montre, elle aussi, d’une technique déjà mûre. Le développement de l’imprimerie et de l’estampe sous les Tang est lié à la propagande missionnaire du bouddhisme. À la même époque s’impriment également des almanachs paysans, ainsi que divers ouvrages populaires et didactiques (médecine, divination) qui sont illustrés de gravures assez frustes.

À l’époque Song, stimulée par les commandes gouvernementales et privées aussi bien que par les initiatives d’éditeurs professionnels, l’imprimerie se développe de façon considérable et atteint son plus haut niveau de qualité. Dans les ouvrages illustrés (textes bouddhiques, classiques, livres techniques), l’estampe se fait plus fine. À l’époque Yuan commence la vogue du théâtre qui fournira aux graveurs une riche matière à illustrations. L’âge d’or du livre illustré est l’époque des Ming. Divers facteurs favorisent son épanouissement: prospérité, essor urbain, bourgeoisie commerçante avide de divertissements, pour qui les imprimeurs multiplient les éditions illustrées de pièces de théâtre et de romans. Non seulement l’habitude d’illustrer les ouvrages imprimés se généralise, mais des albums constitués surtout d’estampes apparaissent alors. Les graveurs perfectionnent leur technique; autrefois ils composaient eux-mêmes le dessin de leurs estampes, maintenant une division du travail s’instaure: l’illustration originale est fournie par un peintre, le graveur la transpose sur sa planche avec une virtuosité de trait qui donne l’illusion du pinceau. Le résultat est d’un raffinement extrême, mais l’estampe chinoise quitte le domaine propre de la gravure pour se transformer en un habile démarquage du graphisme pictural. Le plus illustre exemple de cette féconde collaboration entre peintres et graveurs est fourni par Chen Hongshou (1598-1662) qui donna à graver plusieurs séries d’illustrations littéraires. Dans l’énorme production de pièces de théâtre et de romans illustrés, mentionnons aussi l’édition du roman Jin Ping Mei , dont les cent planches, d’un réalisme minutieux, présentent avec un sens aigu de la vie et de l’observation psychologique le miroir complet d’une société.

Estampe en couleurs

Au début du XVIIe siècle, un autre type d’ouvrage gagne en importance: l’encyclopédie picturale, véritable musée de poche, reproduisant un choix des chefs-d’œuvre de la peinture; dans ce domaine, le Mo Yuan édité par Cheng Dayue marque un progrès technique par son utilisation de la couleur. L’estampe en couleurs atteint son plein épanouissement dans les publications de Hu Zhengyan: Recueil de peintures du Studio des dix bambous (1619-1627) et Recueil de papiers à lettres du Studio des dix bambous (1644). En adoptant le procédé d’impression successive des couleurs, par blocs multiples (précédemment l’estampe en couleurs était imprimée en une fois, les différentes couleurs étant réparties simultanément sur un bloc unique), Hu permit à l’estampe d’imiter toutes les nuances de l’aquarelle, et lui fit faire ainsi un progrès décisif. Les estampes Qing sont directement tributaires du Studio des dix bambous; cette technique devait servir de point de départ au développement de l’estampe japonaise.

À l’époque Qing, les Mandchous, soucieux de mobiliser tous les instruments de propagande culturelle pour consolider leur pouvoir, tirèrent abondamment parti du livre illustré et firent publier d’énormes et luxueux ouvrages célébrant les gloires impériales: Fastes pour l’anniversaire de l’empereur (Kangxi, 1713), Fastes des visites de l’empereur dans les provinces méridionales (Qianlong, 1766), etc. L’Agriculture et le tissage , illustré de planches en couleurs, relève également des éditions impériales. L’édition privée n’est pas moins active: à côté des innombrables versions illustrées de romans et de pièces de théâtre, la vogue des manuels de peinture se continue et donne son chef-d’œuvre avec le célèbre Jardin du grain de moutarde (Nankin, 1701). Ce superbe ensemble d’estampes en couleurs, dans la lignée directe du Studio des dix bambous, se présente comme une méthode analytique et progressive d’apprentissage de la peinture. Divisé en trois séries (une quatrième, apocryphe, lui fut ajoutée en 1818 à Suzhou), l’ouvrage fut commencé sous la supervision de Shen Yinbo, beau-fils de Li Yu, et dessiné principalement par deux frères, Wang Gai et Wang Shi, secondés par divers autres artistes. Son succès fut immense et suscita de nombreuses contrefaçons, de qualité variable. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’estampe tombe en décadence. Sous l’influence occidentale, l’imprimerie adopte les caractères mobiles (l’invention était chinoise, d’époque Song, mais ne fut pratiquement pas utilisée en Chine, étant peu satisfaisante esthétiquement) et les plombs; la gravure sur bois tombe en désuétude, et les ouvrages imprimés selon les nouvelles méthodes sont illustrés de lithographies. Dans cette médiocrité, seules émergent une bonne édition illustrée du Rêve dans la chambre rouge (1791) et les gravures du célèbre peintre de figures Ren Weichang (XIXe siècle). À l’époque contemporaine, la technique de l’estampe en couleurs imprimée par blocs multiples, telle que l’avait élaborée le Studio des dix bambous, s’est perpétuée à Pékin dans l’atelier Rongbaozhai.

Une forme particulière et populaire de l’estampe s’est développée de façon indépendante, sans relation avec le livre: les « images de Nouvel An » (nian hua ) qui, dans l’usage traditionnel, étaient collées aux murs et sur les portes au moment du Nouvel An. Outre les esprits gardiens de la porte et le dieu du foyer, ces estampes représentent divers symboles d’heureux auspices (fécondité, fortune, longévité). Leur technique est simple et savoureuse, avec un trait tendant à la schématisation décorative. Les couleurs, vives et sans nuances, imprimées d’un seul tirage, présentent une joyeuse juxtaposition de tons purs traités en larges aplats. Cette tradition artisanale s’est maintenue, et il existe aujourd’hui un dérivé moderne de l’image de Nouvel An, consacré principalement à des thèmes politiques et didactiques auxquels une certaine naïveté de vision réussit à conférer une fraîcheur inattendue.

13. Estampage

L’estampage (taben ) est un procédé de reproduction permettant de prendre, à l’encre et sur papier, l’empreinte négative d’un motif (inscription ou figure) gravé en intaille ou en relief sur un support de pierre, brique, bois, bronze, jade, etc.

Procédés techniques

On recouvre le sujet d’une feuille de papier humide; pour amener le papier à épouser tous les accidents de la surface à reproduire, on le tapote avec un maillet feutré ou on le frotte avec une brosse à poils durs. On encre ensuite en tapotant la surface entière du papier avec un tampon de charpie imbibé d’encre. Quand l’encre a séché, on décolle le papier du support; les motifs en creux apparaissent en blanc sur fond noir. Selon que l’on use d’un tampon encreur grassement imbibé ou légèrement humecté, on obtient soit un fond d’un noir lustré (qui convient aux prises d’empreintes sur support lisse), soit un fond nuancé qui reproduit le grain et les accidents du support (approprié pour un support fruste et rugueux). Une autre technique, plus délicate, s’exécute à sec: on y a recours lorsque l’œuvre à reproduire présente une surface très irrégulière ou dont le graphisme est partiellement brouillé (stèles rongées par les intempéries, etc.), ou encore lorsque le support est d’une nature fragile (jade), ou que le motif est particulièrement subtil (ciselures d’un bronze). Cette méthode à sec s’impose également lorsque le support (bois) est recouvert d’une couche de laque ou de peinture que le procédé humide risquerait d’endommager. La méthode à sec requiert un papier extrêmement fin mais très résistant, que l’on applique sur le support en le pressant de la paume. L’encre (qui en Chine se présente sous forme solide) est directement maniée à la main et frottée sur le papier d’un mouvement semblable à celui du pinceau; pour ce travail, on se sert généralement de pains d’encre spéciaux, ronds et plus mous que les bâtons d’encre ordinaires. Toute la difficulté réside dans le maniement du pain d’encre, dont la pression doit être à la fois ferme et légère. Avec ce procédé, on obtient un fond de grisaille où se lisent tous les accidents de relief du support.

Multiplication des textes gravés sur la pierre

L’estampage, qui fut pratiqué en Chine depuis une antiquité reculée (dès l’époque Han, semble-t-il, mais le plus ancien témoin subsistant date du VIIe siècle de notre ère), servait principalement à la reproduction et à la diffusion des textes gravés sur les stèles de pierre. L’invention ultérieure des procédés d’impression par planches de bois gravées n’a nullement privé l’estampage de sa position privilégiée: ses qualités esthétiques, d’une part, et son degré de fidélité, d’autre part, sont en effet inégalables. Les estampages faits à partir de stèles reproduisant des calligraphies – voire des peintures – dont les originaux ont disparu (parfois ces stèles elles-mêmes ont à leur tour disparu) présentent un intérêt archéologique, historique et artistique considérable, et sont prisés par les connaisseurs au même titre que des œuvres d’art originales.

14. Céramique

La céramique chinoise se distingue par la continuité de sa tradition, dont témoigne une production s’étendant sur sept millénaires, par la précocité de ses découvertes, une maîtrise technique inégalée, une profusion et une diversité sans commune mesure avec ce qu’a pu produire l’Occident. Les perfectionnements apportés aux fours, aux textures, aux couleurs ont commandé sa constante évolution, liée d’autre part à l’histoire de la société, à la multiplicité de la commande, souvent aussi à l’irruption d’influences étrangères. Les artisans chinois atteignent spontanément la beauté par une parfaite adaptation des formes à leur fonction, un sens inné des proportions et des rythmes, une mise en valeur de toutes les virtualités de la matière. Aux yeux des Chinois, la céramique est un art bien plus qu’un artisanat: certaines pièces sont prisées à l’égal du jade, la matière noble par excellence. Collectionnée de longue date, chantée par les poètes, la céramique fut souvent réservée aux empereurs et aux princes. Elle répond aux besoins les plus divers: vaisselle d’usage, elle est d’autre part matériel de culte et mobilier funéraire; elle sert les exigences de la vie de Cour comme celles de la classe raffinée des lettrés qui s’enchante des formes pures d’un bol ou du lustre onctueux d’une couverte. La céramique concerne non seulement la vue, mais le toucher et même l’ouïe, sensible à la sonorité émise par une porcelaine. Discrète, dépouillée, austère à certaines époques, elle est à d’autres éclatante de couleurs, vigoureuse, audacieuse.

Diversité des techniques

Le mot « céramique » est un terme général qui englobe des techniques distinctes: la poterie, ou terre cuite, obtenue à basse température (750-900 0C), qui demeure fragile et poreuse; le grès, cuit à 1 000-1 200 0C, plus lourd et plus solide, vitrifié et devenu imperméable; la porcelaine, que sa cuisson à 1 350 0C environ vitrifie davantage encore et rend dure, sonore, parfois blanche et translucide. À la poterie sont associées les glaçures, à base de silicate de plomb, qui lui donnent de l’éclat tout en palliant sa porosité. Les grès et les porcelaines doivent leur qualité aux couvertes, revêtements à base de feldspath et de cendres végétales, étroitement unies au corps des pièces. Dès l’époque néolithique, la poterie dénote des recherches de texture, de poli et de décor. Sous les Shang (XVIIe s.-1028) et les Zhou (1027-256), elle fournit, outre une vaisselle courante, la rare poterie blanche d’Anyang, des vases au poli noir, des pièces à décor incrusté. À l’époque Han (206 av.-220 apr. J.-C.), elle est en général revêtue de glaçures, souvent colorées en vert et irisées: urnes, brûle-parfum, vases hu aux formes puissantes. Rehaussés de peinture, les mingqi , objets destinés à accompagner les défunts dans l’au-delà, font revivre la Chine des Han dans son existence quotidienne, avec leurs réductions d’architectures, leurs figurines humaines et animales. Sous les Tang (618-907), ces statuettes, revêtues de glaçures polychromes, sont pleines de vitalité et de grâce. La poterie proprement dite est alors d’une grande variété de formes, tantôt purement chinoises, tantôt inspirées de modèles occidentaux; ses glaçures, posées sur un engobe blanc, ont des coloris frais et éclatants.

Les grès, annoncés dès les Shang par des pièces cuites à haute température, apparaissent sous les Zhou, vers les IXe-VIIIe siècles. À la fin de cette dynastie et sous les Han se développent les protocéladons, puis les céladons de Yue à mince couverte gris-vert. À la même époque, les sombres et vigoureuses protoporcelaines portent une couverte olivâtre qui forme de longues coulures. À partir des Han, les formes et les tonalités des yue se diversifient, les revêtements sont plus épais. Sous les Sui (589-618) se situent les premières couvertes blanches qui rivaliseront avec les yue à l’époque Tang. Sous les Song (960-1279), les yue sont supplantés par les céladons de Longquan, d’un vert plus franc, qui seront exportés dans l’Asie entière et jusqu’en Europe au long des dynasties suivantes. À la même époque, les fours se multiplient; les grès reflètent le raffinement de cette période: goût du monochrome, des formes pures, perfection du lustre et de la profondeur des couvertes. La plupart des manufactures resteront longtemps en activité. L’époque Ming se signale enfin par les grès bruns de « Boccaro » et les sancai , dont les glaçures brillantes rappellent celles des poteries Tang dans une gamme renouvelée.

Parallèlement à l’évolution continue du grès se situe celle de la porcelaine, apparue dès l’époque Tang, et qui éclipsera quelques siècles plus tard les autres techniques de la céramique chinoise.

Poteries et grès des premières dynasties

La céramique fait son apparition en Chine à la fin de l’époque néolithique, entre 5000 et 2000 environ avant J.-C. Outre une poterie grise d’usage, on y distingue:

a ) dans le bassin moyen du Huanghe et s’étendant ensuite au Gansu, la poterie rouge à ample décor peint de la culture de Yangshao – plusieurs villages, dont Banpo découvert en 1953 près de Xi’an au Shaanxi, font revivre cette culture;

b ) du Zhejiang au Shandong, avec la culture de Longshan, des pièces noires, fines et polies, de formes complexes, à décor incisé ou ajouré, et des pièces blanches, notamment des verseuses tripodes.

Sous la dynastie des Shang, certains types de céramique néolithique ont subsisté. La poterie grise domine, avec plus de netteté dans les formes et un décor imprimé au tampon. Des progrès faits, d’autre part, dans l’aménagement des fours permettent une cuisson à haute température et le dépôt d’une couverte naturelle à base de cendres sur la partie supérieure des pièces. On note aussi les premiers essais de couvertes sciemment posées. C’est là une innovation capitale qui porte en germe tout le développement ultérieur de l’art du grès. Les tombes princières d’Anyang ont livré une précieuse poterie blanche, en argile fine à forte proportion de kaolin. Son décor est analogue à celui des bronzes et des ivoires de l’époque: rubans en lignes brisées, unis ou incisés, dragons de profil, masques de taotie .

À l’époque Zhou, la céramique se diversifie selon les régions. Les poteries grises, estampées de motifs géométriques, imitent les formes des bronzes: coupes dou à pied élevé au Shandong, vases hu à motifs de dragons au Henan, li à cannelures horizontales au Shaanxi. Dans l’Anhui, on a trouvé des vases en kaolin du IXe ou VIIIe siècle avant J.-C.; ornés de filets ou d’un décor estampé sous une couverte appliquée à la brosse ou par immersion, ils annoncent les « protoporcelaines » des Han.

La période des Royaumes Combattants voit un retour à la poterie noire, avec des contrastes de motifs mats et polis. La poterie architecturale se développe, avec des tuiles cylindriques à motifs estampés empruntés à l’art du bronze. Les grès prennent des aspects très variés dans les provinces actuelles de l’Anhui et du Zhejiang, et au Hunan où les découvertes faites dans les tombes de Changsha ont révélé la brillante civilisation de l’État de Chu. Par des innovations techniques variées, on s’efforce d’imiter en céramique la richesse des bronzes incrustés ou des laques peints contemporains: pigments colorés, incrustations en pâte de verre, application de feuilles d’étain à la surface des pièces, spirales en relief sous une couverte feldspathique jaune clair. On voit même apparaître les premières glaçures plombifères. Des fouilles commencées en 1974 ont révélé un aspect insoupçonné de l’art de la brève dynastie des Qin: plus de 7 000 statues en terre cuite peinte, plus grandes que nature – officiers, fantassins, archers, chevaux –, représentant l’armée de Shi huangdi (221-210), « Premier Auguste Empereur » de la Chine nouvellement unifiée. Ces statues, d’un réalisme saisissant, s’alignent dans des fosses voisines du mausolée impérial près de Xi’an. Sur le même site, on a trouvé des statues de servantes assises, en terre cuite grise, d’une grande sobriété.

Progrès et découvertes sous les Han, les Six Dynasties et les Sui

À l’époque Han, on assiste à un essor considérable de tous les artisanats. L’art de la céramique est marqué par le renouvellement des formes et des décors, ainsi que par de remarquables progrès techniques. Deux catégories bien différentes suivront désormais un développement parallèle: poteries avec ou sans glaçures, grès à couverte feldspathique. Les poteries funéraires, en Chine du Nord, ont des formes robustes et équilibrées: hu à la panse renflée, au col galbé souligné d’un large rebord, urnes cylindriques lian surmontées d’un couvercle représentant une île montagneuse battue par les flots, boshanlu , ou brûle-parfum, en forme de coupe à couvercle ajouré, montée sur un pied.

Les hu portent parfois un décor peint – crochets, volutes, triangles – inspiré du répertoire des bronzes incrustés. Plus souvent, les poteries sont revêtues de glaçures plombifères de « demi-grand feu », soit à l’état naturel dans un ton jaune-brunâtre, soit colorées en vert intense par de l’oxyde de cuivre. Les glaçures donnent à la terre une beauté supplémentaire en même temps qu’une qualité primordiale, l’imperméabilité; de plus, en s’oxydant lors de leur séjour dans le sol, ces poteries ont pris des irisations nacrées ou argentées d’un grand attrait. Le décor est constitué par des filets horizontaux, par des frises figurant, en relief, des scènes de chasse animées, avec des animaux réels ou fantastiques, des génies, des cavaliers, par des masques en relief tenant un anneau fictif, imitant les anses des bronzes. Des scènes plus variées décorent les briques et les dalles formant les parois des tombes souterraines. Du IIe au IIIe siècle de notre ère, on trouve à Luoyang et au Sichuan les premières représentations de paysage, des architectures, des scènes vivantes de banquets, de jeux et de travaux.

On plaçait également dans les tombes des statuettes de serviteurs, de danseurs, d’acrobates, destinées à accompagner les morts dans l’au-delà. Toute la vie quotidienne des Han est restituée par ces mingqi , colorés après la cuisson. Les personnages, dont le mouvement est sobrement exprimé, sont traités par larges plans, les animaux sont rendus avec un étonnant réalisme. Des réductions d’architectures – maisons, fermes, tours de guet – nous renseignent sur les modes de construction propres aux différentes régions. Les grès de l’époque Han montrent des progrès décisifs. Au Zhejiang, où les gisements favorables sont particulièrement abondants, apparaît à Shaoxing le groupe des protoporcelaines, vases proches des hu en poterie et urnes sans col, en grès sombre et lourd. La partie supérieure porte une couverte olivâtre, mouchetée, posée sur un engobe brun-rouge; elle s’amasse vers le bas en grosses gouttes vitrifiées et laisse transparaître un décor incisé de lignes ondées tracées au peigne, de courbes et de contre-courbes se terminant en oiseaux stylisés.

Des productions très variées se rattachent à la période des Six Dynasties. Dans le Nord, sous les Wei, les statuettes funéraires sont en terre grise, dense, rehaussée de pigments colorés: cavaliers casqués aux montures richement caparaçonnées, chameliers, guerriers cuirassés, dames aux silhouettes allongées, aux visages aigus. Les grès du Zhejiang, de corps gris, de grain serré, tournés avec acuité, ne se limitent plus à copier les formes des bronzes. Sur des coupes et des pots des IIIe-IVe siècles, une zone de décor géométrique, avec des anses et des masques en relief, est incisée sous une fine couverte gris-vert ou olive, obtenue par une cuisson en réduction. Le centre de la production est Juyan, non loin de Shaoxing, anciennement Yuezhou, d’où le nom de yue donné à ces « protocéladons ». Vers le VIe siècle, les yue les plus caractéristiques sont des aiguières à bec figurant une tête de coq, des verseuses en forme de lions accroupis, des godets à eau évoquant des tortues. Des urnes cinéraires portent, autour du col, des figurines sommairement modelées; quelques vases s’ornent en relief d’un décor exubérant de pétales de lotus, de rosettes, de pendentifs, signe de contacts avec l’Iran sassanide.

L’évolution qui a lentement perfectionné les procédés de cuisson, la pureté des terres et des couvertes, aboutit sous les Sui à produire des grès blancs à base de kaolin, fins et partiellement vitrifiés, très proches de la porcelaine. La priorité de la Chine est ici plus que millénaire. Les mingqi diffèrent totalement de ceux des Wei: les potiers modèlent des figurines souples, aux justes proportions, vêtues selon une mode venue d’Asie centrale. En terre blanchâtre, elles sont en général enduites d’une glaçure ivoirine finement craquelée.

Vitalité et exotisme de l’art des Tang

À l’époque Tang, la céramique reflète la vitalité de cet âge d’or, son goût de la recherche et des acquisitions nouvelles. Sur les poteries, les glaçures « trois couleurs », ou sancai , aux tons vifs, s’opposent aux monochromes des âges précédents. Dérivés d’oxydes de cuivre, d’antimoine, de fer, de cobalt, les verts, les jaunes clairs ou ambrés, les bleus sombres, posés sur un engobe blanc, forment le plus souvent des taches contrastées à coulures irrégulières. La fluidité des glaçures sera corrigée sur des plats à offrandes par de profondes incisions (rosaces, lotus, oiseaux, nuages) imitant des modèles d’argenterie sassanide. Les terres sont claires, les formes souvent d’inspiration étrangère, avec des éléments nettement différenciés et des profils rompus: bols arrondis, vases globulaires, vases ovoïdes godronnés à long col s’épanouissant en corolle, amphores, etc. Des reliefs moulés ou modelés – cordons de perles, palmettes, pampres, couvercles figurant une tête de phénix, anses en forme de dragons dressés – apportent une note d’exotisme. Le goût de la couleur s’exprime aussi dans de petites poteries « marbrées » obtenues par le malaxage d’argiles claires et sombres. Les mingqi , plus nombreux que jamais, modelés avec soin et souvent rehaussés de glaçures polychromes, sont d’un réalisme plein de vigueur et de charme. Gardiens de tombes et fonctionnaires peuvent atteindre plus d’un mètre de haut. Ils voisinent avec des centaines de statuettes – dames élégantes vêtues à la dernière mode, servantes, musiciennes, danseuses, acteurs – et avec des marchands persans, des palefreniers d’Asie centrale, des Turcs, des Juifs, des Indiens. Les plus célèbres mingqi sont peut-être les statuettes d’animaux, chevaux puissants parfois montés, chameaux majestueux.

Au IXe siècle, en Chine du Nord, apparaissent des pièces blanches porcelaineuses, en général de petite taille. Bols à thé, aiguières minuscules, gobelets, coupes à bord roulé ou replié sont tantôt revêtus d’une couverte épaisse, tantôt translucides, d’un blanc pur et brillant, ou très vitrifiés et délicatement craquelés. Au Zhejiang, la fabrication des yue s’est reportée à Yuyao. Ce sont des grès porcelaineux de facture très soignée – aiguières, vases à long col, bols à thé, boîtes à fards – dont la couverte transparente annonce les céladons Song et recouvre un souple décor incisé d’oiseaux, de lotus, de pivoines. D’autres grès noirs ou bruns sont déjà du type des temmoku Song; du Henan proviennent des pièces noires à larges éclaboussures bleutées.

L’âge classique des Song

La céramique des Song, expression d’une culture raffinée, peut être considérée comme la plus parfaite de tous les temps. C’est un art sobre, austère, adonné aux tons subtils, aux couvertes monochromes, onctueuses et profondes, qui tiennent souvent lieu de tout décor. Les bols, lobés ou en forme de fleur épanouie, les coupes évasées, les flacons, les vases meiping , à embouchure minuscule, ont des proportions harmonieuses, des profils aux courbes continues. Lorsque le décor existe (branches fleuries, poissons dans les vagues, canards parmi des plantes d’eau), il est discret, délicatement gravé ou moulé en très léger relief.

Sous les Song du Nord, la production est localisée au Hebei, au Henan et au Shaanxi. Les porcelaines blanches ding sont translucides, avec une couverte ivoirine qui forme des coulures verdâtres à l’extérieur des coupes; le bord de celles-ci, nu, est cerclé de métal. Les précieux ru , aux épaisses couvertes craquelées bleu-gris ou bleu lavande, ont été fabriqués entre 1107 et 1125 dans l’enceinte même du palais impérial, comme aussi les rares guan du Nord. De Yaozhou (Shaanxi) viennent les céladons du Nord, très vitrifiés, avec un décor d’une extrême finesse incisé sous un revêtement vert olive; du Henan, les premiers jun , d’un bleu intense taché de pourpre, dont la fabrication se poursuivra jusqu’à la fin de la dynastie et sous les Yuan.

Après l’exode à Hangzhou, deux fours impériaux produisent les guan (« pièces officielles »), à la couverte dense, largement craquelée, plus épaisse que le corps mince et sombre. Les tons varient du gris à des verts et des bleus clairs. Les céladons de Longquan remplacent les yue , et portent la technique des grès verts à son point de perfection. Sur le corps gris, les couvertes sont d’une admirable profondeur, d’une opacité nuageuse, vert bleuté ou vert de mer. Le Fujian produit des bols à thé coniques, les jian , plus connus sous le nom japonais de temmoku , grès sombres, rugueux, que revêtent de lourdes couvertes noires enrichies de petites stries à reflets métalliques (effets dits « plumes de perdrix » ou « fourrure de lièvre »). Les jian ont été imités au Jiangxi, avec des terres plus claires et des décors différents: taches dénommées « écaille de tortue », réserves de feuilles, de papillons, de fleurettes. Au Henan, certaines pièces noires portent un décor peint, en brun de fer lustré, ou des zones blanches contrastant avec les fonds. Du Jiangxi proviennent les qingbai , délicates porcelaines blanches dont la couverte très vitrifiée prend dans les épaisseurs une tonalité bleu pâle. Leur décor est tantôt moulé, tantôt finement incisé, avec des pointillés et des motifs « peignés ». La production dite de Cizhou, au Hebei, qui est issue en réalité de nombreux centres de la Chine du Nord, a donné des grès lourds et robustes: grands vases, jarres, boîtes, oreillers. Les ci , seuls à adopter un décor peint, s’ornent de vigoureux motifs floraux se détachant en noir sur un fond clair, sous un revêtement transparent, incolore ou vert vif. Leur groupe englobe aussi des pièces à décor champlevé et d’autres utilisant des glaçures plombifères vertes et jaunes. C’est sur des ci , enfin, qu’apparaissent pour la première fois les émaux, qui connaîtront sur les porcelaines un avenir prodigieux. Encore timidement employés, ils sont limités au rouge de fer, au vert et à un jaune léger. La poterie ne compte guère sous les Song, sauf dans le royaume Liao, en Mandchourie, où la tradition des sancai Tang s’attarde aux Xe et XIe siècles.

Une époque d’innovations: la dynastie mongole des Yuan

Tous les artisanats des Yuan subissent des influences étrangères et la céramique, en particulier, s’enrichit de quantité de formes et de techniques nouvelles.

Englobée dans l’immense empire mongol, la Chine entre en contact avec l’Occident. Ainsi est acheminé le cobalt venu de Perse qui conduira à la création au Jiangxi, vers 1320, du « bleu et blanc », innovation majeure qui va déterminer l’avenir de la porcelaine chinoise. La couleur, qui se révèle au grand feu, vers 1 350 0C, s’applique avant la pose de la couverte. À des essais timides succède, à partir de 1330-1340, une admirable floraison de pièces robustes de la plus belle qualité. Grands plats et vases monumentaux, de dimensions inconnues jusqu’alors, elles sont en majorité destinées à une commande croissante des cours princières de l’Inde et de l’Asie occidentale. Les décors, largement tracés, sont complexes et d’une variété infinie. À aucune époque, ils n’ont été aussi inventifs et n’ont manifesté une telle vitalité. Moins souvent on utilise le rouge de cuivre, autre couleur de grand feu, mais fort instable et de réussite incertaine.

Les ateliers de Longquan produisent de même pour l’exportation des céladons lourds et volumineux, grands plats à marli, jarres, vases « balustre », ornés, en relief ou en gravure, de fleurs ou de dragons. Ils créent par ailleurs des décors nouveaux: taches brunes irrégulières sur des couvertes fines (tobi seiji ), motifs en relief laissés nus qui, rougis au feu, ressortent sur les fonds verts. Tout en évoluant, d’autres centres régionaux maintiennent leur production. Les ci peints sont parfois revêtus d’une glaçure turquoise, apport du Proche-Orient; sur les fonds clairs, le décor a un caractère plus populaire, devient plus varié et plus libre. Les ding ont des motifs moins délicats, les jun des tonalités plus violentes, avec des effets de « flambé ». Au Jiangxi, région privilégiée pour la porcelaine blanche, les qingbai prennent une importance nouvelle avec des meiping , des bouteilles, des aiguières, et créent une statuaire bouddhique audacieuse. Leur décor fait appel à toutes les techniques (modelage, ajourages, incisions), leur couverte tend vers le vert. Dans la même province apparaît une porcelaine blanche officielle, ornée de motifs moulés sous un revêtement opaque et de la marque shufu , « Conseil privé », qui lui a donné son nom.

Prépondérance de la porcelaine sous les Ming et les Qing

Le bleu et blanc connaîtra sous les Ming une fortune qui ne déclinera que devant la vogue croissante des émaux de petit feu, vers le milieu du XVIIe siècle. Sous les deux dernières dynasties, l’histoire de la céramique devient celle de la porcelaine. L’essentiel de sa production est concentré à Jingdezhen, au Jiangxi, véritable métropole de la céramique. On y verra, dans le décor peint, se succéder ou se combiner les couleurs de grand feu et les émaux, se multiplier les recherches de tonalités, les procédés d’application et de cuisson; en même temps, les formes se diversifieront à l’infini pour s’adapter à tous les usages, avec des retours archaïsants aux modèles anciens et à leur ornementation.

Sous les Ming, cependant, la poterie architecturale se développe avec l’abondance des nouvelles constructions. Revêtements muraux à glaçures recouvrant des reliefs, tuiles aux tons vifs, ornements de faîtage en ronde bosse (dragons, phénix, cavaliers) donnent un éclat inimitable aux édifices chinois. C’est sans doute aux ateliers provinciaux voués à ces fabrications que se rattachent les sancai Ming, aboutissement lointain des « trois couleurs » Tang, aux XVe et XVIe siècles. Leurs glaçures, sur le grès ou la porcelaine, se combinent en deux gammes: bleu profond - turquoise - aubergine, ou vert - jaune - aubergine; elles sont compartimentées par des filets en relief, des incisions, des ajourages. Cette technique s’applique à des meiping , des potiches, des vases « balustre », à des statuettes de dieux ou de personnages légendaires, à des objets mobiliers. Au XVIe siècle, les formes deviennent plus baroques, les tonalités vives s’adoucissent, avec des gris et des mauves transparents.

Yixing, au Jiangsu, est à partir du XVIe siècle le centre, encore actif de nos jours, des « boccaro ». Ce sont des grès bruns, plus ou moins lustrés, qui ont surtout servi pour des théières aux formes fantaisistes, moulées et ciselées, largement exportées en Europe avec les cargaisons de thé aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Au Guangdong, des grès sombres à couvertes rouges et bleues, tachetées ou flambées (jardinières, statuettes, etc.), évoquent les procédés, sinon la délicatesse, des jun de l’époque Song. Les robustes céladons d’exportation survivent sous les Ming, s’en tenant à peu près aux formules des Yuan, avec des couvertes plus olivâtres. Il en est de même des ci , sous une forme populaire encore très appréciée aujourd’hui. Sous les Ming et les Qing, l’activité dispersée des anciennes manufactures n’est donc pas abolie, en dépit de la prépondérance de Jingdezhen et de sa porcelaine.

15. Émaux

La technique des émaux sur métal, apparue en Chine au XIVe siècle, est la seule forme d’art chinois qui relève entièrement d’un apport étranger. Dès l’Antiquité, elle est connue dans le monde méditerranéen, et c’est à partir d’un centre existant en Asie Mineure au XIIe siècle qu’elle a atteint la Chine. Elle y est devenue une des manifestations les plus somptueuses de l’habileté manuelle des Chinois et, plus encore, de leur sens des belles matières et des harmonies colorées. Destinés au culte, au décor ou à l’intimité du lettré, les cloisonnés chinois n’ont jamais été fabriqués pour l’exportation.

Un art du verre

Les émaux sont des verres colorés fusibles, utilisés sous forme de pâte. Ils sont insérés dans des cavités du support métallique et la pièce est cuite à une température qui les fait fondre et adhérer au métal. Parmi les procédés qui existent pour former les alvéoles – émaux champlevés , repoussés ou cloisonnés –, c’est ce dernier qui a été le plus courant en Chine, avec un support de bronze ou de cuivre et des émaux opaques. De fines bandes de métal sont posées de champ sur le fond, délimitant les décors. Sous les Ming, ces cloisons sont en bronze, fixées par une soudure métallique; plus tard, on emploie le cuivre et une soudure végétale qui disparaît à la cuisson: c’est alors l’émail qui maintient les cloisons. Le bord apparent de celles-ci est toujours revêtu de dorure.

Évolution des cloisonnés du XVe au XIXe siècle

L’existence de cloisonnés Yuan est attestée par des textes chinois anciens, mais aucune pièce du XIVe siècle ne nous est parvenue. Les émaux connus s’échelonnent entre le début du XVe siècle et le milieu du XIXe. Leur datation s’appuie sur les styles et les techniques plus que sur les marques, qui sont sujettes à caution, car, fondues ou incisées, elles ont pu être surajoutées. On ne peut se fier qu’à celles, très rares, qui sont incorporées au décor émaillé. Des pièces de toutes époques portent la marque de Jingtai (1450-1456) sans qu’on s’explique la vogue, en ce domaine, d’un règne par ailleurs obscur.

Au XVe siècle, le décor se limite à des lotus, stylisés ou en rinceaux, des nuages, des vagues, des feuilles dressées, parfois des fruits traités avec réalisme. Le dessin, bien composé, se suffit à lui-même: les fonds sont nus, alors que, plus tard, ils seront emplis de petites cloisons en spirale pour meubler les vides et consolider les trop grandes surfaces d’émail. Les objets, lourds et généralement de petites dimensions, sont en majorité à destination bouddhique: vases, boîtes rondes, brûle-parfum. Les couleurs sont un bleu turquoise clair, un très beau bleu lapis, le blanc, le jaune, le rouge et un vert sombre presque noir. Assez souvent, deux tons se fondent l’un dans l’autre à l’intérieur d’une même cellule. Vers la fin du siècle apparaît le « rose Ming », fait de l’association de particules rouges et blanches: c’est la première couleur « mélangée ».

Au XVIe siècle, les rinceaux sont plus chargés et l’on rencontre des emblèmes bouddhiques, des lions, des dragons, des paysages, des bordures. Les formes sont surtout des plats, des bols et des vases. Un vert clair, un brun translucide et de nouveaux tons mélangés apparaissent. Au siècle suivant, certaines pièces imitent les bronzes archaïques. Le décor, outre les rinceaux de lotus, comprend des dragons et des phénix, des plantes fleuries, des oiseaux. Les formes se diversifient: panneaux décoratifs, animaux en ronde bosse, sceptres, chandeliers, et la gamme des couleurs s’enrichit d’une grande variété de tons mélangés. Au XVIIIe siècle, on enregistre une production massive, sans doute dès la création, en 1680, d’un atelier impérial à Pékin. Des pièces monumentales, atteignant parfois plus de deux mètres de haut (vases, brûle-parfum, lions, gardiens, etc.), ornent les temples et les palais. Les couleurs, rarement mélangées, sont, sur un fond d’un bleu plutôt terne, un vert turquoise foncé, des jaunes et des verts pâles, le mauve, le bleu lapis et un véritable rose, dérivé de l’or, qui deviendra commun vers 1730. L’essentiel de la production se situe sous Qianlong et porte souvent la marque authentique du règne. Si certains objets sont très raffinés, le décor des grandes pièces, fait de fleurs et de rinceaux se répétant à l’infini, est monotone et manque de spontanéité. Les tiges et les volutes sont toujours formées par deux cloisons parallèles. Les formes s’adaptent à tous les usages et les figures d’animaux se multiplient. Il semble que la technique se soit maintenue sans se détériorer jusqu’au milieu du XIXe siècle; les cloisonnés modernes sont, par contre, d’une qualité inférieure à tous égards.

Émaux peints

Introduits en Chine peu avant 1713, leur technique est voisine de celle des porcelaines émaillées. Vers 1714, l’empereur fit installer un atelier au palais de Pékin, où furent fabriquées notamment des tasses en or émaillé offertes au tsar en 1721.

Le cuivre sert généralement de support; il est recouvert d’une couche d’émail blanc opaque, sur laquelle sont peints les motifs polychromes. La gamme des couleurs est la même que celle des porcelaines de « famille rose », mais les tons, en s’incorporant au fond d’émail, perdent l’éclat propre à ceux qui sont posés sur la couverte brillante d’une porcelaine. Seules les marques de Qianlong sont fréquentes et l’on trouve parfois des marques d’ateliers, de destination ou d’appréciation. Les formes sont celles des porcelaines contemporaines et il en va de même des décors: fleurs et fruits, paysages de jardins, intérieurs chinois, bordures compliquées, revers « rubis ». Des sujets européens sont souvent reproduits, notamment sur les pièces exportées, très appréciées en Europe, dont la majorité se situe entre 1735 et 1795. Toute la production courante était émaillée à Canton, alors qu’on exécutait à Pékin les pièces raffinées destinées à la Cour. C’est donc à tort qu’on désigne sous le nom d’émaux « de Canton » l’ensemble des émaux peints de la Chine.

La fabrication, nettement décadente, a continué au XIXe siècle, en particulier à Hainan, souvent sur un corps en argent et dans une gamme de couleurs où domine un bleu pâle, parfois relevé d’émail noir.

16. Arts populaires

Malgré leur profonde originalité, les arts populaires de la Chine ne sont appréciés à leur juste valeur ni dans leur propre pays ni dans les autres pays. Sans doute des recherches approfondies ont-elles été entreprises sur les œuvres à caractère décoratif (broderies, papiers découpés) ou étroitement associées à la religion (« images de Nouvel An »). Mais de nombreux domaines de la culture matérielle restent encore à explorer. Les enquêtes et les collectes faites par des étrangers vivant en Chine dans la première moitié du XXe siècle n’en ont que plus de prix. Leurs études, conduites souvent avec une grande rigueur, concernent cependant un nombre limité d’objets (enseignes des échoppes, jouets du Nouvel An, etc.) et des aires géographiques strictement circonscrites. D’autres objets, comme les céramiques d’usage ou les vanneries, n’ont pas suscité jusqu’à présent un intérêt à la mesure de ce qu’ils représentent dans l’environnement quotidien chinois.

En Chine même, plusieurs facteurs ont fait négliger parmi les œuvres populaires celles où l’on ne percevait pas une intention esthétique éminente. Ainsi, à la fin de l’Empire, la virtuosité a été pour les élites l’un des critères majeurs d’appréciation du goût, et cette esthétique a fait inévitablement apparaître l’art populaire comme naïf ou archaïque. Plus tard, des intellectuels chinois se sont certes intéressés aux arts et aux traditions populaires de leur pays, mais ils ont privilégié le folklore. La culture matérielle proprement dite est restée dans l’ombre. Dans ces conditions, il ne pouvait se constituer un mouvement esthétique comparable au mingei , mouvement déjà en gestation dans la culture du Japon préindustriel mais remarquablement animé par un Yanagi Sôetsu (1889-1961).

Art déprécié ou simplement ignoré des lettrés, l’art populaire ne s’en est pas moins transmis et enrichi continûment jusqu’à la fin de l’Empire. Puis les bouleversements occasionnés au XXe siècle par les guerres, par les aléas politiques de tous ordres, révolution culturelle comprise, et maintenant par l’industrialisation accélérée du pays ont eu raison des œuvres les plus fragiles. Ils ont provoqué un brassage des objets dommageable à l’identification des provenances et des dates de fabrication. Plus grave, ils ont abouti à la disparition d’un grand nombre de techniques dans un laps de temps très bref. Cette rupture dans la transmission des savoirs a scellé définitivement le déclin qualitatif des pièces produites et consacré la perte de traditions qui appartenaient autant à des artisans spécialisés, laqueurs ou potiers, qu’aux paysans eux-mêmes. Aujourd’hui, c’est davantage vers les campagnes que vers les villes qu’il convient de rechercher des traditions encore vivantes du passé.

Ces traditions s’étaient pourtant jouées de la contrainte, naturelle celle-là, qu’imposaient les matériaux disponibles: assez peu de bois, très peu de pierres, mais de la terre ou de l’argile en abondance sur tout le territoire; de la paille, du bambou ou du roseau, du chanvre, de la soie ou du coton en proportions inégales selon les régions. L’invention dont ont fait preuve ceux qui ont travaillé ces matières n’en est que plus évidente: on la mesure aussi bien dans un vêtement de pluie tressé en paille de riz que dans une rape à gingembre taillée et chevillée entièrement en bambou, ou encore dans ces oreillers de porcelaine que l’on remplit d’eau froide en été. Mais, si les objets usuels trahissent bien souvent de la part de leurs artisans la recherche d’une adaptation parfaite à la fonction, ils ne satisfont pas pour autant à l’idée que nous avons du confort. Et ni les matières, ni les formes, ni les catégories ne correspondent tout à fait aux nôtres. A fortiori, l’ornementation, quand elle existe, demeure la première marque distinctive de cet art.

Le décor et son inspiration

L’iconographie populaire chinoise apparaît d’emblée comme le produit d’une imagination féconde, mais se révèle presque toujours subordonnée à un ensemble de symboles, de sujets historiques et de légendes. Rares sont les motifs purement géométriques, et l’on dénombre peu de thèmes tirés de la nature ou de l’environnement qui ne dissimulent quelque symbole favorable. Cependant, malgré l’apparente complexité de l’ensemble, les principes qui le gouvernent sont assez simples. Certains motifs sont difficiles à identifier: réunissant plusieurs personnages, ils font allusion soit à une légende, soit à un épisode de roman ou de théâtre, soit encore à une histoire édifiante ou à l’hagiographie d’un saint local. En effet, ces représentations sont sujettes à variation d’une région à une autre, comme peut l’être aussi leur source d’inspiration. Mais l’originalité de l’ornementation populaire réside ailleurs, dans les différents symboles qui s’organisent autour de quatre grands thèmes: le bonheur fu , les émoluments lu , la longévité shou et la joie xi (ou la félicité). Cette dernière qui contient en quelque sorte les trois premiers a pour couleur symbolique le rouge. Le moyen le plus simple de les représenter consiste à écrire l’idéogramme qui correspond à chacun d’eux, tant est puissant pour un Chinois l’accord entre l’aspect visuel des caractères d’écriture et le sens qu’ils possèdent. L’homophonie de beaucoup de caractères permet de substituer à une idée abstraite un animal, un insecte, une fleur, un fruit, etc., dont le nom se prononce pareillement malgré une graphie différente (la chauve-souris fu , pour le bonheur). Ce principe étendu à quatre mots donnera naissance à l’un de ces rébus qu’affectionnent les Chinois. Mais une image simple peut avoir, sans le secours des mots, un pouvoir d’évocation tout aussi fort: un lingot pour la richesse, une grenade ou un melon pour une postérité nombreuse. À ces symboles s’ajoutent les attributs qui s’attachent tant au lettré, figure exemplaire de la réussite sociale, qu’aux Huit Immortels, à divers personnages légendaires ou encore à la religion bouddhique.

Tous ces thèmes sont illustrés dans les objets et les costumes associés aux mariages et aux fêtes traditionnelles. Ils trouvent encore de nombreux supports dans les domaines de la culture matérielle où l’ornement joue un rôle de première importance, par exemple dans la parure et le bijou. Une étude des motifs figurant sur les épingles à cheveux, sur les bracelets, sur les nécessaires de toilette que les femmes suspendaient à leurs vêtements, sur les peignes en argent le démontre amplement. Un examen des boutons sculptés qui permettaient, en faisant contrepoids, de fixer à la ceinture une bourse ou une blague à tabac aboutit à un inventaire thématique similaire. Certains bijoux, outre la fonction d’apparat qu’ils revêtent, sont des amulettes destinées à protéger leur propriétaire. Les enfants par exemple avaient autrefois à leur cou des pendentifs en argent ou, à défaut, réalisés dans un alliage de cuivre et de nickel, en forme de cadenas pour « les attacher à la vie », et donc pour écarter les mauvaises influences. Des motifs de bon augure, des souhaits de longue vie composés de quatre caractères s’y inscrivaient en creux ou en relief sur un fond amati. Dans certaines circonstances, et jusqu’à l’âge de cinq ans, les garçons portaient pour leur protection une coiffe ou une petite cape en soie, en satin ou en coton brodé figurant un tigre. Plusieurs amulettes y étaient fixées. Si leur exécution demeure souvent bien sommaire – une feuille de métal coupée à l’emporte-pièce et tournée en pointe suffit à évoquer le corps d’un personnage –, tous les thèmes et inscriptions propitiatoires y sont d’emblée reconnaissables.

Les arts de la vie quotidienne

À la différence des villes où, jusqu’au début du XXe siècle, les maisons populaires et, avec plus d’ostentation, les échoppes s’enrichissaient volontiers de décors sculptés et n’excluaient pas la couleur, dans les campagnes le cadre de la vie quotidienne, sans être austère, paraît des plus sobres. L’expérience plus récente des peintres-paysans de Huxian (Shaanxi) ornant les parois extérieures de leurs maisons à l’aide de couleurs vives fait figure d’exception.

Ce sont des cérémonies comme le mariage, ce sont les fêtes, et la première d’entre elles, celle du Nouvel An, qui introduisent dans les habitations couleurs et ornements. La diversité des architectures rurales, dont un même type couvre parfois de vastes aires géographiques, tient davantage à la forme des maisons, construites par leurs habitants eux-mêmes, qu’à leur ornementation. La découpe d’un pignon, le galbe d’une toiture, le ressaut des murs latéraux vont en souligner les volumes. Les matériaux entrant dans leur construction, la brique et le pisé, le bois et le bambou, seront laissés à l’état brut dans le nord et le centre de la Chine, sommairement enduits de torchis ou chaulés dans le sud. Leur agencement peut cependant rompre cette sobriété grâce au dessin d’une corniche, à l’animation apportée par une claire-voie de tuiles ou de lattes de bois.

De même, les outils et les ustensiles dont on se sert quotidiennement ne portent que rarement la trace d’un décor, contrairement à ce que l’on observe parfois dans d’autres cultures (cordeaux de charpentiers du Japon, etc.). Qu’ils relèvent des activités de l’agriculture ou de la pêche, qu’ils interviennent dans la préparation culinaire, dans le tissage ou dans la confection des vêtements, leur seule beauté tient à la matière employée et à une forme souvent ingénieuse, sans que se manifeste une intention esthétique plus affirmée de la part de leurs auteurs. Les objets qui, en revanche, s’inscrivent durablement dans l’environnement quotidien comme le mobilier, la vaisselle et les dessus d’édredons témoignent d’une recherche esthétique poussée. Ainsi, à l’austère beauté des grès qui, revêtus d’une épaisse couverte brune ou noire, servent à la conservation des liquides ou des aliments s’opposent les mille et une séductions de la vaisselle de table en porcelaine. Presque toujours ornée de motifs exécutés en bleu et blanc, plus rarement à l’aide d’autres couleurs, celle-ci témoigne de beaucoup d’invention autour de thèmes comme le poisson (yu , homonyme de « richesse ») ou les rinceaux de fleurs. Sa production, encore active, est dérivée de modèles savants de l’époque des Ming (1368-1644) auxquels des moyens plus limités, mis au service d’un authentique travail de création, ont donné fraîcheur et naturel.

La vannerie, dont les principales techniques ont été mises au point dès le Néolithique, occupe toujours une très large place dans la culture matérielle de l’ensemble du pays. Familiale ou artisanale, voire industrielle, elle présente une grande diversité régionale. Au Sichuan, dans le bassin du fleuve Bleu et dans le Sud, le bambou domine, tandis que dans le Centre et dans le Nord on remplace ce matériau aux propriétés uniques par des fibres (osier, paille de céréales, jonc, roseau) parfois associées à des éclisses de bouleau ou de peuplier. En outre, dans le Nord, la vannerie est étroitement liée aux activités de l’agriculture et des marchés, au transport des denrées ou des liquides. Partout où il est utilisé, le bambou permet, quant à lui, non seulement de fabriquer outils et ustensiles (claies pour la sériciculture, couffins, cages tressées, clayons pour cuire à la vapeur, nasses, etc.), mais il sert aussi bien les besoins de l’habitat (nattes pour le sol et les cloisons) que ceux du costume (chapeaux). Ses tiges, flexibles et résistantes à la fois, sont travaillées telles quelles, refendues en lattes, en lamelles ou en fines baguettes, parfois encore effilochées. D’autres matières, le bois ou le laque par exemple, peuvent lui être associées. Et les techniques d’assemblage qui ne sont pas seulement des techniques de vannerie ouvrent plus largement encore l’éventail des réalisations en bambou.

Le mobilier populaire ne saurait être abordé sans que soit prise en compte la diversité des matériaux, des conditions climatiques et des traditions régionales. En schématisant, on peut distinguer entre le nord de la Chine d’une part, le centre et le sud de la Chine d’autre part, deux modes d’organisation de l’espace intérieur de la maison, tout en notant que la répartition des activités entre l’intérieur et l’extérieur de l’habitat offre des différences avec nos pratiques. Dans le Nord, l’habitat rural type se compose de deux pièces latérales à usages multiples, séparées par un corridor central servant de débarras, mais où se trouvent aussi les fourneaux servant pour la cuisine et pour le chauffage des pièces. Chaque pièce comprend un kang , sorte de vaste lit en terre et en briques que l’on chauffe par en dessous grâce à des canalisations noyées dans la maçonnerie et alimentées par un foyer situé sur le côté. La présence, le long des seules fenêtres de la pièce, orientées au sud, de ce kang recouvert de nattes, qui sert à la fois de lit, d’espace collectif pour les repas, pour les menus travaux et les réunions, explique la nature du mobilier. Celui-ci se compose de coffres, de bahuts et d’étagères disposés sur les côtés, de tables basses et d’oreillers durs. Des meubles mobiles hauts sur pied (tables, chaises) et des armoires peuvent agrémenter le reste de la pièce. Ils sont néanmoins plus rares que dans les maisons rurales du Centre et du Sud, et que dans les maisons urbaines. Exception faite des coffres de mariage en cuir ou en carton laqué de rouge et rehaussés parfois de motifs peints ou appliqués, ces meubles sont en bois. Leurs lignes sont sobres, leur décor est réduit à sa plus simple expression, contrairement à la tendance qui s’est développée tout au long du XIXe siècle dans les villes. On serait bien en peine de distinguer des styles régionaux autrement qu’à une vaste échelle ou sous la forme de productions particulières mais accessoires.

Dans le Centre et dans le Sud, où les hivers sont courts sinon toujours cléments, il faut se contenter de chauffages d’appoint (chaufferettes de terre cuite ou de métal). Les lits à cadre, parfois véritables monuments de sculptures laqués et dorés (Guangdong), mais plus souvent construits en bois et en bambou, ne remplacent évidemment pas le kang dans toutes ses fonctions. De là sans doute une plus grande diversité du mobilier qui bénéficie de la présence de matériaux abondants et d’une exécution souvent plus élaborée: à l’intérieur de la maison, des meubles hauts et quelque peu solennels comme ceux du Nord; à l’extérieur, des tabourets, de petites chaises au ras du sol, parfois même une chaise longue en bambou, des tables basses. On observe à la fois des emprunts nombreux au beau mobilier des villes (chaises à haut dossier en fer à cheval) et un parallélisme étonnant dans l’utilisation du bois et du bambou (formes et techniques). C’est aussi dans ces régions méridionales que les objets et les ustensiles populaires en laque, rouge en général, sont les plus nombreux, alors que l’emploi de cette matière correspond plutôt à un artisanat de luxe.

Bien que la teinture à l’indigo des tissus de coton, de chanvre ou de lin soit connue dans toute la Chine, cette technique est plus largement répandue en Chine méridionale, du Sichuan au Jiangsu et jusqu’au Guangdong. Le procédé qui a été pratiqué pendant des siècles dans le pays s’apparente dans son principe au batik. Une pâte à base de soja et de chaux est appliquée à travers un pochoir en papier huilé aux endroits qui seront en réserve sur le tissu une fois teint: le fond plus souvent que les motifs. En règle générale, ces derniers sont reproduits régulièrement sur toute la surface du tissu. Mais il leur arrive aussi de respecter dans leur disposition la forme des pièces auxquelles ils sont destinés, qu’il s’agisse de larges compositions couvrant plusieurs lés (dessus d’édredons, carrés pour les ballots) ou du dessin de vêtements prêts à être découpés (veste de femme ou d’enfant, tabliers). Même lorsqu’ils révèlent une fine observation de la nature, les motifs constituent autant de symboles parfaitement clairs pour les utilisateurs des étoffes qu’ils ornent. Jamais celles-ci n’étaient tout à fait identiques malgré les limites qu’impose nécessairement un répertoire symbolique et en dépit du caractère souvent répétitif de leur décor. L’effet tiré de l’usage de pochoirs ne peut manquer d’évoquer l’art des papiers découpés, sans qu’il y ait eu des influences réciproques attestées. Ils procèdent plutôt d’un même esprit, avec une préférence marquée pour la silhouette, le jeu des pleins et des vides et l’animation qui en résulte. Aujourd’hui, ces teintures à l’indigo ont complètement périclité dans les villages au profit quasi exclusif des cotonnades et des satins bariolés où le rouge domine.

Les arts et les fêtes

Un grand nombre de créations artistiques sont en étroite relation avec les fêtes et certaines cérémonies qui rythmaient – et qui, à un degré moindre, marquent encore – le déroulement de l’année. Occasions fugitives d’agrémenter l’ordinaire, ces festivités donnaient lieu à un déploiement de couleur que la vie quotidienne ignore, et ont inspiré une multitude de créations aussi colorées qu’éphémères: images apposées sur les portes et les murs au Nouvel An, papiers découpés collés aux fenêtres, lanternes de toutes formes, jouets modelés dans l’argile ou la pâte de farine, cerfs-volants, etc. Lors de ces moments privilégiés, des costumes de couleurs vives sont portés, et l’on assiste aux représentations du théâtre d’ombre comme à celles du théâtre de marionnettes. Autrefois, un grand nombre de ces manifestations artistiques se rattachaient aussi à des pratiques religieuses ou magiques. Ce qui est vrai pour le théâtre ou les lanternes l’est également pour certaines figurines confectionnées au Nouvel An. Et, en même temps, ces jouets sont d’authentiques créations puisque, autour de thèmes codés, leurs auteurs ont su donner libre cours à leur imagination et à leur sens artistique.

Images et gravures

L’imagerie désignée généralement sous le nom restrictif des « images du Nouvel An » a joué un rôle considérable aussi bien pour la diffusion d’une certaine culture que dans la définition d’une esthétique commune à des couches assez différentes de la société. Bien que prohibées depuis des décennies par les autorités, les images religieuses sont encore très répandues dans certaines campagnes quand, ailleurs, le remplacement des xylogravures par des affiches est dû à l’essor industriel du pays. La disparité d’exécution de ces estampes tient surtout à la diversité de leurs destinataires puisqu’elles touchent toutes les classes de la société dans les villes et les campagnes. Il n’y a rien de commun entre les vignettes imprimées de façon rudimentaire sur un papier grossier et les gravures décoratives peintes à la main de couleurs délicates, œuvres d’artistes reconnus: depuis le XVIe siècle, les ateliers de Yangliuqing près de Tianjin se sont fait une spécialité de ces précieuses estampes qui sortent pour la plupart du domaine des œuvres populaires. Mais entre ces deux qualités extrêmes il y a place pour une production variée. Le dessin en noir de l’image est d’abord tiré sur le papier avec une planche de bois gravée en taille d’épargne; puis l’application des couleurs se fait en utilisant des pochoirs ou en imprimant autant de planches que l’on souhaite obtenir de couleurs, jusqu’à cinq. Dans le cas d’une production raffinée, on rehausse à la main certains détails, en particulier les visages.

Nombre de ces images ont une vie des plus éphémères: certaines sont destinées à être brûlées pour les besoins du culte quand les autres sont apposées à même les portes et les murs des maisons, et au-dessus des autels familiaux. Régulièrement, à l’occasion du Nouvel An surtout, on les remplace par des images fraîchement imprimées. Aussi les exemplaires Song et Yuan, époques où ces estampes ont commencé de se répandre, sont-ils devenus rarissimes. L’imagerie la mieux connue date de la fin de l’Empire et du début du XXe siècle. Elle révèle des sujets religieux, des illustrations de vœux et de symboles, enfin des thèmes purement décoratifs ou tirés de l’histoire et de la littérature: théâtre ou romans célèbres. Ces différentes catégories s’interpénètrent fréquemment car, en Chine, le théâtre et la religion, loin de s’exclure, entretiennent des liens intimes et certains personnages historiques sont devenus des saints patrons au culte florissant. Le caractère syncrétique de la religion populaire transparaît dans les estampes dites des « cent cultes ». D’autres gravures ont pour principale fonction d’honorer un dieu particulier: le dieu des richesses, le dieu du foyer souvent accompagné d’un calendrier, etc. Elles servent aussi à repousser les esprits malfaisants (dieux des portes). L’esthétique de toutes les images est manifestement gouvernée par l’horreur du vide, comme en témoignent leur composition serrée, des fonds rarement laissés nus, enfin une accumulation de motifs, d’attributs votifs, de symboles parfois sans rapport direct avec les thèmes traités. La densité de la composition et l’alternance d’un nombre limité de couleurs vives posées en aplat font oublier par l’animation qu’elles créent la gaucherie du trait.

Quelques grands centres ont dominé la production et largement rayonné grâce à un système de colportage actif: ce sont les ateliers de Yangliuqing, de Weixian (Shandong), de Taohuawu à Suzhou, de Zhuxianzhen près de Kaifeng, de Foshan non loin de Canton. Mais ici ou là ont prospéré de petits centres répondant aux besoins d’une clientèle locale, jusque dans le Qinghai et le Gansu. L’identification des lieux de fabrication des estampes qui ne portent aucune inscription à ce sujet est des plus malaisées, tant les recettes et les sujets ont essaimé, tandis que circulaient les images.

Les papiers découpés

Autant ces œuvres d’artisans spécialisés nous font découvrir les valeurs esthétiques que reconnaît et apprécie le peuple, autant les papiers découpés révèlent comment celui-ci s’exprime dans une activité créatrice lui appartenant en propre. À la différence des broderies et des tissus teints à l’indigo avec lesquels il a des affinités sur le plan de la technique et des motifs, cet art ne possède aucune fonction utilitaire, si ce n’est dans des usages annexes. Collés sur les fenêtres ou sur les murs, les papiers découpés décorent l’intérieur des maisons dans toutes les occasions de réjouissance. Et le faible investissement requis, du papier et des ciseaux ou un couteau très tranchant, explique leur popularité. Cet art, pour autant qu’il permet à l’imaginaire de s’exprimer, se heurte aux limites qu’impose la technique: seul le jeu des vides et des pleins est à même de saisir un mouvement, de restituer un personnage ou un animal qui soit identifiable du premier coup d’œil. Il faut aussi que les traits et les contours restent solidaires les uns des autres sans alourdir le dessin. Dans le Hebei, pour échapper à ces contraintes, on teint les œuvres de couleurs vives; dans le sud du Shaanxi, on ajoute au pinceau certains détails, comme s’il s’agissait d’ombres de théâtre. Mais ces pratiques demeurent peu répandues. Curieusement, le répertoire symbolique que partagent en Chine les autres formes d’art populaire s’enrichit ici de scènes de la vie quotidienne saisies sur le vif ou de représentations d’animaux domestiques. Les figures ne révèlent néanmoins aucune concession au réalisme. Les œuvres sont en majeure partie faites par les usagers eux-mêmes, des femmes en général et des enfants; certaines, destinées à être vendues, ont été réalisées par des hommes qui se spécialisent dans ce travail et parfois s’y font un nom. Avec un couteau, on peut découper de six à dix feuilles maintenues par des liens. La première des feuilles figure le modèle obtenu par le décalque au noir de fumée d’un papier découpé ancien. Tous les espaces teints en noir seront découpés ou évidés, et simultanément toutes les feuilles de la liasse. C’est ce procédé qui a permis à la tradition, aussi fragile que le papier qui la transmet, de se maintenir et à certaines régions de s’imposer par un style assez homogène. Ainsi, au Shandong, de larges zones de papier, souvent rectangulaires, sont évidées pour faire ressortir des contours très fins alors qu’au Shaanxi les perforations se réduisent à des cercles, des croissants dans des surfaces pleines; les arrondis y sont plus nombreux, les effets de symétrie, fréquents. Cependant, les artistes, comme les familles, donnent une coloration particulière à leurs œuvres, ce qui rend vaines les tentatives entreprises pour définir une stylistique régionale.

L’époque contemporaine a marqué diversement l’art populaire de son empreinte. Dans les années qui ont précédé la Libération, le Parti communiste et les artistes qui œuvraient dans son sillage, séduits par l’imagerie et les papiers découpés des milieux paysans, les ont annexés à des fins d’éducation ou de propagande en transformant ce qui allait contre les orientations de l’orthodoxie politique. Les thèmes illustrés, leur style même, avec l’introduction d’éléments réalistes, s’en sont trouvés modifiés. Aujourd’hui, la mainmise de l’État sur certaines productions d’origine populaire a figé des traditions vivantes en artisanats pour l’exportation et le tourisme. Mais des traditions aussi riches ne pouvaient disparaître sans renaître sous de nouvelles formes, et, malgré son caractère iconoclaste, la révolution culturelle même a été l’inspiratrice de bondieuseries et de posters qui, aujourd’hui mal appréciés, seront un jour mieux considérés.

17. Le connaisseur chinois

L’espace mythique de l’œuvre d’art

Peu de nations ont développé aussi tôt, de façon aussi profonde et continue, la notion de « connaisseurs ». Né du respect pour l’Antiquité, de l’importance accordée à la culture littéraire et historique de l’honnête homme, le goût des œuvres d’art anciennes a favorisé en Chine non seulement la constitution de grandes collections, et cela dès les premiers siècles de notre ère, mais aussi l’apparition au XIIe siècle de l’archéologie préscientifique. La notion de connaisseur implique une communion entre l’homme et l’objet d’art, que l’amateur chinois a très tôt ressentie comme essentielle. L’œuvre ne peut en effet survivre qu’à travers le regard et l’intérêt des hommes qui l’apprécient. Cette présence humaine nécessaire n’ôte cependant pas à l’objet l’indépendance et les propriétés magiques que lui confèrent son caractère microcosmique et son ancienneté.

En Chine, un poème, une peinture, une pièce musicale constituent autant de petits mondes à part qui, créés par l’esprit, sont équivalents au vaste monde, mais plus réels que lui parce que sans pesanteur, transparents à l’esprit, immortels. Ce thème apparaît comme essentiel pour comprendre l’attitude du connaisseur chinois. Réduire l’univers, le rendre maniable, accessible, c’est lui enlever le dernier semblant de réalité factice, et l’élever au niveau de la seule réalité véritable, l’espace mythique. En ce sens, un jardin miniature, un encrier évoquant une montagne, une peinture offrant la découverte de sa randonnée à travers un paysage constituent autant de jeux d’illusionnistes liés à un ensemble de notions philosophiques et magiques profondément ancrées dans la mentalité chinoise. Tout objet, fût-ce une statue, une pierre, un bronze, peut en vieillissant s’élever au rang des esprits. Ainsi les objets anciens offrent-ils, par la concentration de leurs vertus et la transformation de leurs qualités ordinaires en des propriétés efficientes, un pouvoir magique à l’amateur qui les possède. Cultiver chez soi un jardin miniature confère la longévité, recueillir les calligraphies des maîtres passés, c’est renouer avec l’« essence » de leur art, délier son âme en s’appropriant leur esprit.

Domaines de la sensibilité et exigences esthétiques

Désignant une élite, la classe dirigeante des fonctionnaires-lettrés, la notion d’amateur en Chine s’attache à tous les aspects de la création artistique et implique un éventail de sensibilité beaucoup plus large qu’en Occident. La jouissance esthétique ne vient pas de la vue seule, mais aussi du toucher et de l’ouïe. Une porcelaine, un jade offriront à l’amateur non seulement la perfection de leur forme, l’harmonie de leurs couleurs, mais aussi et surtout la sensualité de leur texture, de leur poli, de leur grain, l’inattendu des accidents de surface et la sonorité de leur matière.

Cette sensibilité si riche et si profonde s’accompagne d’exigences esthétiques particulières. Le lettré chinois, dont les arts d’agrément sont la littérature, la calligraphie, la peinture et la musique, a l’amour de la simplicité, l’horreur du voyant et du clinquant. Il apprécie avant tout les saveurs secrètes qui ne se découvrent qu’aux initiés raffinés et attentifs. Le rare et l’exquis s’identifient pour lui à une sobriété dépouillée, ils présentent d’étroites affinités avec le détachement supérieur, l’élégante nonchalance, le naturel fantasque et souverain, la noble oisiveté. L’amateur, comme l’artiste, entretient en lui une disponibilité spirituelle, silencieuse, épurée et tranquille, cultivée par la contemplation de la nature et des œuvres d’art, l’étude, la musique ou le vin. La beauté du monde doit être savourée dans la sérénité, et le rythme de la vie intérieure doit s’accorder à la nature des choses. Aussi la faculté d’oublier sa propre individualité pour s’identifier à ce qui est unique, inexprimable dans une œuvre d’art constitue-t-elle la qualité distinctive du connaisseur.

Au raffinement s’oppose la vulgarité, dans laquelle l’amateur chinois voit un déséquilibre: l’ornement extérieur étant cultivé au détriment du contenu réel, des structures d’ensemble, du souffle spirituel. La vulgarité, c’est aussi la banalité, le lieu commun, la raideur pédante. L’idéal esthétique du lettré se définit en effet par réaction contre la rigidité de la discipline morale, des rites, des compositions classiques, à laquelle il est soumis depuis l’enfance, rigidité étouffante qui ne laisse place à aucune fantaisie. Il cherchera, par contraste, dans la contemplation de certains objets, l’insolite, l’excitation de l’imagination que procurent les formes les plus extraordinaires et les associations d’idées qu’elles suggèrent. La réunion de quelques amis dont les facultés d’imaginer seront décuplées par le thé ou le vin constituera le lieu idéal où s’affine la contemplation, où se débride la fantaisie. Devant une peinture, une branche de prunier dans un vase, un laque sculpté ou une pierre dont les veines rappellent des nuages, on échangera les comparaisons, les métaphores, les rimes d’un poème ou d’une chanson, au gré d’une culture inconsciemment nourrie de réminiscences magiques.

Les collectionneurs

L’étude des collections chinoises à travers les siècles reste à entreprendre. Elle éclairerait non seulement l’histoire de l’art, mais l’évolution du goût et des préoccupations intellectuelles en Chine. Il a existé en effet à chaque époque des courants esthétiques qui ont profondément influencé la vie du lettré, ses voyages, ses passe-temps, l’installation de son ermitage, de sa bibliothèque, le choix des peintures, des jardins, des objets décoratifs ou nécessaires à son activité littéraire.

Les mentions de collectionneurs de manuscrits, de peintures et de calligraphies apparaissent déjà dans les textes du VIe siècle de notre ère. Dès cette époque, les biographies de personnages célèbres indiquent souvent: « Il était fin connaisseur de peintures anciennes et amateur éclairé d’antiquités. » Certains de ces amateurs sont resté fameux, comme Mi Fu (1051-1107), peintre et collectionneur, qui apportait à la recherche des objets rares une passion frénétique. Il partageait le goût très vif des lettrés Song pour les « curiosités » et en particulier pour les pierres que leur forme, leur structure ou leur couleur rendaient insolites. L’empereur Huizong (1082-1135), également peintre et fervent de pierres, possédait une collection de plus de six mille rouleaux. C’est alors que furent compilés les premiers catalogues officiels de rouleaux; les premiers catalogues privés le furent sous les Tang. L’époque Song nous a transmis aussi les plus anciens « guides du connaisseur ».

Le goût des lettrés de la fin de l’époque Ming (1368-1644) se retrouve dans l’œuvre de Li Yu (1611-1680) qui a consacré de très belles pages à la maison de l’homme de goût. Les expositions d’antiques ne sont pas ignorées; celle de 1570 organisée au Jiangsu présentait, parmi les pièces exposées, le rouleau de Gu Kaizhi (344-409), actuellement au British Museum de Londres. Le XVIIIe siècle continue cette tradition d’amateurs, et le Jiangsu reste le centre du grand commerce des antiquités. Dans ces provinces du bassin du Yangzi, des faussaires professionnels se spécialisent dans la copie de peintures anciennes.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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